Dans les villages d’enfants SOS de Madagascar, la solidarité dessine aussi l’avenir du pays - SOS Villages d'Enfants

Dans les villages d’enfants SOS de Madagascar, la solidarité dessine aussi l’avenir du pays

 

Madagascar est l’une des plus grandes îles du monde mais aussi l’un des pays les plus pauvres que compte la planète. Les enfants sont souvent les premières victimes de cette précarité et des nombreuses catastrophes naturelles que connaît l’ancien territoire d’outre-mer. Dans ce contexte, l’engagement de SOS Villages d’Enfants Madagascar, très soutenu par l’association française, est fondamental.

 

 

Manoa a 28 ans. Mariée, sans enfant, elle habite en banlieue d’Antananarivo, la capitale de Madagascar. La jeune femme travaille comme assistante sociale pour l’association d’entraide familiale Koloaina. “Celle-ci accompagne les familles en situation de vulnérabilité dans leurs démarches avec l’administration publique, comme obtenir une copie d’acte de naissance ou trouver des documents certifiant leur identité ce qui est souvent compliqué chez nous”, explique-t-elle.

La solidarité est une valeur partagée par de nombreux Malgaches, mais Manoa explique aussi que sa propre histoire n’est pas étrangère à son envie d’exercer une profession au service des autres. La jeune femme est une “ancienne” du village d’enfants SOS de Vontovorona à Antananarivo. En 2002, sa mère a succombé à une infection parasitaire, un décès qui faisait suite à celui de son père, un an plus tôt. Celui-ci souffrait d’alcoolisme et se retrouvait souvent à “boire” ses maigres revenus plutôt que d’apporter de quoi nourrir sa famille. Manoa et ses deux petits frères sont alors placés dans des familles d’accueil différentes. La jeune fille part vivre chez un oncle et une tante qui tiennent une épicerie-bar. On imagine qu’elle aurait pu tomber plus mal mais elle va, au contraire, y subir la grande sévérité du couple et de nombreuses maltraitances qu’elle n’évoque que pudiquement. Manoa habitera pourtant là jusqu’à ses 18 ans, âge de son arrivée au village d’enfants SOS de Vontovorona où elle retrouve ses petits frères qui, eux aussi, viennent d’y être accueillis.

 

 

“Lorsque j’ai découvert les enfants du village, j’ai été stupéfaite de voir à quel point ils recevaient tous les soins, toutes les attentions, toute l’affection, dont ils avaient besoin. Léonie, ma maman SOS, aujourd’hui retraitée, était si gentille ! Elle nous accordait de la liberté et nous poussait à faire des études.”

Manoa a du retard scolaire lorsqu’elle est accueillie au village d’enfants SOS, mais à 19 ans, elle décroche son Brevet des Collèges et quitte le village peu après. L’accompagnement par l’association se poursuit, et Manoa est aujourd’hui diplômée d’un Master 1 en Travail Social.

 

PLACÉS, PAS DERACINÉS

 

“À SOS Villages d’Enfants Madagascar, lorsque les jeunes entrent au lycée ils rejoignent l’un de nos 5 foyers SOS, de grandes maisons où ils vivent en colocation à une dizaine d’adolescents”, explique Andry Razafimahatratra chef du Service d’Insertion Sociale et d’Orientation Professionnelle (SISOP). Accompagnés par une maîtresse de maison présente 24 h/24 et des éducateurs, ces jeunes y apprennent les bases d’une autonomie qui leur permettra, une fois le bac en poche, d’intégrer un studio, loué par l’association. En vivant seul ou en colocation dans un studio, les jeunes s’adaptent à la réalité de la vie d’adulte. Ils sont accompagnés dans leurs recherches et lorsqu’ils trouvent un emploi, le soutien s’arrête, mais les liens restent souvent forts.

Jean-Luc Rakotomalala, éducateur depuis deux ans à Toamasina, dans l’est du pays, près du village d’enfants SOS de Mangarano, connaît bien les besoins de ces adolescents. “Nous sommes là pour les accompagner dans leurs choix de vie et les soutenir dans leurs études, explique-t-il. Ils ont souvent plus de difficultés que les jeunes du même âge et beaucoup souffrent d’un manque de confiance en eux. On creuse ce qu’il y a de meilleur dans leur personnalité en nous appuyant sur leurs passions et talents artistiques, culinaires, sportifs… C’est souvent efficace, mais il n’y a pas de recette toute faite : chaque situation est unique. Nous travaillons aussi beaucoup sur leur histoire familiale, leur généalogie. Même s’ils sont placés, nous cherchons à ne pas les déraciner.” C’est là un gage de leur bonne intégration future dans la société après leur passage dans les structures protectrices de SOS Villages d’Enfants. D’ailleurs, les enfants et les jeunes qui le peuvent passent généralement leurs vacances scolaires et week-ends chez des membres de leurs familles.

“Le SISOP a une forte dimension d’insertion socio-économique mais les éducateurs réalisent également un gros travail sur la recherche des origines. En fait, SOS Villages d’Enfants Madagascar possède sur cette question essentielle qu’est la construction d’identité, une grande avance par rapport à bien d’autres pays.” Essentiel, car, à la différence de ce que l’on connaît en France, les enfants accueillis dans les villages SOS sont majoritairement des orphelins et des enfants sans appuis familiaux. La démarche du SISOP contribue aussi à l’implication des enfants et des jeunes au sein de leur communauté lorsqu’ils grandissent.“C’est à l’époque où j’ai rejoint le village que je me suis engagée chez les scouts, raconte Manoa. J’y ai appris à prendre des responsabilités et à honorer mes engagements. Je suis rapidement devenue cheftaine et aujourd’hui je suis leur encadrante. Être scout, c’est être au service des autres, mais c’est aussi une manière pour moi d’acquérir de nouvelles compétences sociales qui m’aideront dans ma profession.”

 

DES LIENS TRÈS FORTS AVEC LA FRANCE

Cet engagement n’étonne pas Alice Tawil-Aljariri. La responsable de programmes internationaux à SOS Villages d’Enfants France sait à quel point les jeunes malgaches qui sortent des villages d’enfants SOS sont encouragés à nourrir les liens avec leurs communautés et à s’engager pour celle-ci. “Dans le contexte local si dégradé (voir encadré), les villages d’enfants SOS sont des endroits préservés de bien des soucis qui agitent la société malgache. Mais, attention, même s’ils ont grandi dans un milieu agréable et protégé, les anciens enfants accueillis ne sont redevables de rien, car ce n’est jamais une chance d’avoir été placé. Ce qui est vrai, c’est que les grands principes de vie qui leur ont été inculqués, l’éducation qu’ils ont reçue et les valeurs qu’ils portent peuvent avoir valeur d’exemple auprès de leurs proches, voisins, membres de leur village…”

Les liens entre SOS Villages d’Enfants Madagascar et SOS Villages d’Enfants France sont étroits. C’est en effet l’association française qui a contribué à la création de la structure malgache en 1989. Elle est membre de son Conseil d’administration et finance 90 % du budget des 4 villages d’enfants SOS situés à Antananarivo, Toamasina, Antsirabe et Fort Dauphin.

Chaque site abrite entre 12 et 14 maisons qui accueillent chacune jusqu’à 8 enfants. “Tout comme en France, l’accueil est assuré par une mère SOS, assistée d’une aide familiale, ici appelée tante, qui intervient dans plusieurs maisons”, précise Alice Tawil-Aljariri. Chaque village dispose d’éducateurs et d’une assistante sociale. Ces derniers soutiennent les mères et tantes SOS au quotidien, et accompagnent les enfants dans leur développement ainsi que dans leurs démarches administratives. Les besoins sont importants car à Madagascar, l’accès aux droits, aux soins et à l’éducation est difficile.“Le pays connaît un gros déficit d’écoles, de centres de santé, de dispensaires, de PMI, de cantines… ajoute la responsable de programmes internationaux à SOS Villages d’Enfants France. Autant d’infrastructures qui ont donc été créées au sein de nos villages d’enfants SOS, et qui sont ouvertes aux habitants des alentours.”

Andry Razafimahatratra reconnaît que la prise en compte des droits des enfants a beaucoup de progrès à faire dans son pays. “Malheureusement, les droits des mineurs ne sont pas très présents dans la culture malgache. C’est un discours qui n’est pas du tout entendu dans les villages et communautés reculés de la brousse, mais même dans les villes il reste beaucoup à faire.” S’il avait une baguette magique, le premier droit des enfants que le chef du SISOP mettrait en place serait celui d’aller à l’école, suivi de celui d’avoir un acte de naissance et des papiers officiels, “car sans existence légale, la vie des plus précaires est encore plus difficile”.

 

CHANGER LE MONDE

Pour aider les jeunes à trouver leur place dans la société, SOS Villages d’Enfants Madagascar cherche aussi à développer des partenariats avec les entreprises locales. “Nous voulons les encourager à prendre ces jeunes adultes en stage d’observation, à leur offrir un premier emploi, ou même quelques heures de travail pendant leurs études, explique Jean-Luc Rakotomalala. Pour l’instant, c’est surtout avec le transporteur DHL que nous avons pu mettre en place ce type de partenariat.” Une société qu’aimerait justement rejoindre Mihaja, 20 ans, lorsqu’elle aura obtenu son diplôme en communication. Très bonne élève, la jeune femme parle trois langues et se passionne pour les cultures asiatiques. Un vrai plus lorsqu’on envisage une carrière ouverte sur le monde.

Mihaja a été accueillie au village SOS d’Ivohitra à Antsirabe avec ses 5 frères et sœurs après le décès de leur maman. Elle n’avait que 3 ans. “Notre père n’avait pas les moyens de nous élever, explique-t-elle. Ma vraie vie de famille, c’est celle que j’ai eue avec Marie-Suzanne, ma maman SOS. Dès les premiers jours, ce fut comme si elle était déjà notre mère depuis toujours. D’ailleurs, la vie au village d’enfants SOS m’est aussitôt apparue harmonieuse. Nous formions une grande famille avec les enfants des autres maisons.”

Mihaja explique avoir toujours été fière d’être une “enfant SOS ” et n’a jamais rechigné à expliquer l’action de l’association à celles et ceux qui lui demandaient où elle vivait. Comme Manoa, elle aussi a choisi de donner de son temps aux autres. “Depuis deux ans, je suis membre du Leo Club Ivolanitra (NDLR : la version junior du Lions Club) avec lequel nous organisons, par exemple, des séances de lecture pour les petits ou des distributions et donations de vivres pour les plus grands… L’aide communautaire et la solidarité sont très ancrées dans l’esprit malgache et beaucoup de jeunes font du bénévolat. Je trouve normal de rendre un peu du soutien que j’ai reçu, mais c’est aussi une manière pour moi de mettre en pratique ce que j’apprends en classe. J’ai besoin d’aller sur le terrain, car demain je veux faire partie de ces personnes qui changeront le monde.”

Une ambition qui rend fières les équipes de SOS Villages d’Enfants Madagascar.

 

 

LA SITUATION PRÉOCCUPANTE DES ENFANTS SELON LES NATIONS-UNIES

 

Madagascar est, selon les études de la Banque Mondiale, l’un des 10 pays les plus pauvres du monde. Les catastrophes naturelles nombreuses qui se répètent expliquent en partie cette situation. Les enfants sont souvent les premières victimes des sécheresses et pandémies. “L’urgence est partout”, soulignait déjà en février 2020 Jean-Benoît Manhes, représentant adjoint de l’Unicef à Madagascar dans ONU Info. “Madagascar est une succession d’inondations, de sécheresses, de cyclones, d’épidémies…” Le représentant ajoute toutefois que “ces urgences ne sont que la face visible des problèmes de développement qui, de facto, font que même les enfants dans des situations relativement stables ont des indicateurs dramatiques en termes d’accès à l’eau, à l’éducation, à la santé, à la nutrition et à la protection”. Selon l’Unicef, 42% des enfants de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance ou de malnutrition chronique, l’un des taux de malnutrition chronique les plus élevés au monde.

Jean-Benoît Manhes dénonce aussi le travail des mineurs, très répandu : plus d’un tiers des enfants sont considérés comme travaillant dans des conditions dangereuses. Dans ce pays de plus de 26 millions d’habitants, “la moitié sont des enfants et plus des trois quarts vivent dans l’extrême pauvreté.”

Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) confirme l’aggravation de la situation. En juin dernier, après une visite dans le pays, Lola Castro, directrice régionale du PAM pour l’Afrique, déclarait à la presse : “La situation est très dramatique. (…) Nous avons des gens au bord de la famine et il n’y a pas de conflit. Il y a juste le changement climatique avec ses pires effets qui les affecte gravement”.

 

DES PROGRAMMES SPÉCIFIQUES

Développé dès avril 2018 et opérationnel depuis décembre 2019, le projet QUAPEM (pour Qualité de l’Accueil en Protection de l’Enfance à Madagascar) a pour objectif d’améliorer les conditions d’accueil dans une trentaine de structures d’accueil à vocation sociale, orphelinats agréés pour l’adoption et centres d’accueil d’enfants placés en protection de l’enfance. Cela passe par des dotations en équipements, de la formation, du suivi et de l’accompagnement vers de meilleures pratiques professionnelles, la mise en place d’activités génératrices de revenus, un plaidoyer en faveur des enfants et des centres d’accueil.

Les 4 villages d’enfants SOS y sont associés et jouent souvent un rôle d’ambassadeurs en partageant leurs approches avec les autres centres d’accueil qui n’ont pas la chance de bénéficier du soutien d’une association partenaire au niveau international.

Le projet QUAPEM est mené en partenariat étroit avec le ministère malgache de la Population, de la Protection sociale et de la Promotion de la Femme (qui l’a co-construit) ainsi qu’avec l’Institut Supérieur du Travail Social qui assure, lui, le volet formation. Ce projet est soutenu financièrement par l’Agence Française de Développement et le Gouvernement Princier de Monaco.

Enfin, SOS Villages d’Enfants France va prochainement mettre en place un programme davantage orienté sur la sécurité alimentaire et la résilience des familles, dans le sud du pays, région particulièrement pauvre. Car permettre aux parents de nourrir leurs enfants est un préalable à toutes mesures de soutien aux droits de ces derniers.