Dans les villages d’enfants SOS, ce mois de septembre est marqué par la rentrée scolaire et tous les enjeux qui l’entourent. Pour les enfants comme pour les professionnels, de petites routines se remettent en place, pleines de nouvelles opportunités, d’apprentissages enrichissants et de moments partagés.
Ce matin, comme tous les matins, Josette Lemaître va entrer à pas de velours dans la chambre de Lilian*, trois ans. Elle va s’asseoir doucement au bord du lit, se pencher vers la tête du petit bonhomme et lui faire un bisou. Lilian va peu à peu prendre conscience de la présence de sa mère SOS et lui sourire, les yeux encore emplis de sommeil. Josette va lui caresser la tête, le chatouiller un peu et il s’approchera pour le premier câlin de la journée. Alors, seulement, Josette pourra lui dire : « Il est l’heure de se préparer pour l’école ». « Plus que les quatre autres enfants de la maison, Lilian a du mal à se mettre en route le matin, explique l’éducatrice familiale. Il a besoin de ce petit rituel pour bien commencer sa journée. »
Rituel, un mot que Josette choisit à dessein, elle qui sait l’importance de poser des repères rassurants. Mère SOS au village de Marseille, elle a rejoint l’association il y a 20 ans après avoir été monitrice-éducatrice en maison d’enfants à caractère social, autrement dit, en foyer. « J’ai été séduite par le projet associatif de SOS Villages d’Enfants, se souvient-elle. Offrir un cadre de vie familial et ne pas séparer les frères et sœurs, c’est si important. » Josette parle en connaissance de cause, puisque, explique-t-elle pudiquement, elle a été momentanément séparée de ses sept frères et sœurs lors du divorce de ses parents.
Au-delà du maintien des fratries, c’est aussi la manière dont est organisée la vie d’un village d’enfants qui marque la différence avec les autres modes d’accueil des enfants protégés. « Comme toutes les mères SOS, je vis avec les enfants, 24 h sur 24, pendant 21 jours, avant d’être relayée par l’aide familiale. Mais ces petits sont chez eux, c’est ”leur” maison, insiste Josette. En foyer, le personnel tourne par périodes d’une dizaine d’heures. Fatalement, les liens d’attachement n’y sont pas aussi forts. Et puis, à SOS Villages d’Enfants, nous n’avons pas peur de donner ou de recevoir de l’affection… »
Cette stabilité et cette affection se révèlent particulièrement précieuses en septembre, un mois marqué par la rentrée scolaire. Celle-ci est bien vécue par la plupart des enfants, bien que l’éducatrice familiale – qui s’occupe de trois petits en maternelle et de deux en primaire – remarque parfois un peu d’appréhension lors des premiers jours. « Même s’ils disent que ça va, je vois bien qu’ils me serrent la main un peu plus fort que d’habitude et que les embrassades d’au revoir durent un peu plus longtemps… »
Pour aider les enfants à bien entamer leur journée, Josette est très attentive aux premières heures de la matinée. « Il y a deux sortes de quotidiens : celui des jours d’école et celui des mercredis et du week-end », explique-t-elle. Les jours de classe, l’éducatrice familiale se lève à 6 h, prend son petit déjeuner et s’habille pour être totalement disponible pour les enfants dès 7 h. « Il est essentiel de ne pas avoir à les presser ou les stresser en leur disant : ”dépêche-toi”, ”on va être retard”… Les plus grands savent se préparer seuls et aident souvent les petits, mais être aux côtés de chacun est important. » Tout aussi important est le temps du petit-déjeuner, qui n’est jamais sauté. « Nous partons à l’école vers 8 h. Je me gare à proximité et nous faisons un bout du chemin à pied, souvent en retrouvant les ”meilleurs copains” pour rejoindre ensemble les grilles de l’entrée. »
Les enjeux d’une rentrée réussie
Alain Adamiak, directeur du village de Calais, qui a rejoint l’association il y a 25 ans, sait que, pour les mères et pères SOS, les questions relatives à la scolarité des enfants sont un sujet de préoccupation majeure. « Ils sont généreux, engagés, savent apporter l’affection dont ont besoin les enfants. » Pour autant, accompagner plusieurs enfants dans leur scolarité peut s’avérer complexe, notamment car les enfants en protection de l’enfance ont souvent des parcours scolaires plus difficiles. « Chez SOS Villages d’Enfants, nous pouvons nous appuyer sur le programme Pygmalion, créé pour apporter un soutien ”à la carte” à chaque enfant (NDLR : voir la rubrique Grâce à vous qui y est consacrée), et sur nos éducateurs scolaires. » À la rentrée, les éducateurs familiaux et les aides familiaux savent donc qu’ils peuvent compter sur l’équipe pour aider les enfants à entamer cette nouvelle année scolaire dans les meilleures conditions. Ce soutien précieux entre les professionnels de l’association est complété par une relation étroite avec les écoles. Dans chaque village, à la rentrée, les enseignants sont invités à rencontrer les équipes pour mieux connaître l’organisation et le fonctionnement d’un village d’enfants SOS.
Dans chacune des maisons familiales de nos villages, toute une organisation se met également en place ce mois-ci pour le bien-être des enfants en cette période de changements. Chaque maison est singulière car elles sont décorées avec l’aide des enfants qui prennent grand plaisir à y accrocher leurs plus beaux dessins, des photos d’eux ou encore des posters de leurs dessins animés préférés. Et ce mois de septembre, c’est aussi l’occasion d’ajuster l’organisation, l’ameublement et le décor de la maison en fonction des besoins et des nouvelles étapes de vie des enfants : entrée au collège, arrivée à l’école primaire, nouveaux loisirs… Dans la cuisine, on voit fleurir les emplois du temps sur la porte du frigo, bien utiles pour coordonner toutes les activités extrascolaires qui feront de cette rentrée une joie. Et dans le jardin, on peut voir s’ériger un panier de basket pour le plus grand bonheur d’un enfant qui s’est découvert un nouveau talent sportif, ou encore un potager pour ceux qui ont décidé qu’ils voulaient aider leurs accueillants à cuisiner de bons petits plats maison.
« Nos accueillants savent aussi que pour les plus grands, cette période de rentrée va nécessiter un accompagnement adapté », précise Alain Adamiak. Le village d’enfants SOS calaisien a la particularité de compter un espace de transition, où vivent cinq adolescents de plus de 15 ans. Cette maison dans le centre-ville de Calais est un dispositif dédié à la préparation des jeunes à l’autonomie, en leur permettant de garder les liens avec les enfants et les adultes avec qui ils ont grandi au village. « Ici, il n’y a pas d’aide ménagère, explique Raynald Monfourny, père SOS, qui vit sur place trois semaines sur cinq. Les jeunes apprennent à s’occuper de leur chambre, faire les courses, les repas, le ménage, gérer leur budget, remplir leurs documents administratifs… » Pour ces grands adolescents, la rentrée scolaire reste un motif d’inquiétude… notamment pour ceux qui partent poursuivre leurs études dans les écoles et universités loin du village. Ils ont besoin d’adultes référents à leur écoute dans ces moments de grande nouveauté car l’angoisse est là autant que les nouvelles opportunités. « Il y a un travail de préparation à faire pendant l’été, poursuit l’éducateur, car nous savons d’expérience que beaucoup d’entre eux vont faire face à de la solitude. La plupart sont depuis des années dans la bulle protectrice du village. Elle a été nécessaire pour leur permettre de grandir, mais il faut les aider à passer cette nouvelle étape de leur vie et leur rappeler que nous serons toujours là pour eux, quoi qu’il arrive.»
Veiller au bien-être de tout le village
À l’instar de Josette, tous les éducateurs familiaux sont particulièrement attentifs au bien-être des enfants à l’occasion de la rentrée. Mais, du côté des directions des villages, on s’assure aussi de celui des professionnels qui s’occupent des enfants au quotidien.
« Contrairement à ce que vivent la majorité de nos concitoyens, les éducateurs et les aides familiaux travaillent encore plus l’été que pendant le reste de l’année, explique Séverine Libéral, directrice du village d’enfants SOS de Marseille. Bien sûr, les contraintes, notamment horaires, sont allégées. Mais les enfants n’allant plus à l’école, ils sont en permanence avec les accueillants… qui peuvent finir la période estivale bien fatigués ! »
La directrice veille donc à leur qualité de vie en ce début d’année, ce qui passe, par exemple, par l’organisation de relais pendant quelques heures pour venir en soutien de l’accueil des plus petits pas encore scolarisés, par la mise en place de moments de déconnexion (pour faire du sport, des activités…) ou encore par la possibilité de partager, chaque matin, un café avec leurs collègues une fois les enfants en classe. « Cela permet de commencer la journée d’une manière conviviale, complète la directrice. C’est d’abord un moment simple où l’on parle de tout et de rien, même si c’est aussi parfois l’occasion pour certains de partager les petits soucis qui ont pu avoir lieu pendant la nuit ou le matin. »
Si les enfants reprennent le chemin des cours, pour les professionnels, septembre marque le retour du travail en équipe. « On remet notamment en place la ”réunion village” qui a lieu une fois par mois et rassemble tous les professionnels : éducateurs, psychologues, secrétaires, agents d’entretien, aides ménagères… », partage Séverine Libéral. Cette réunion permet de donner des informations sur le fonctionnement du village ou de l’association et d’échanger sur des projets ou des sujets concernant l’accompagnement des enfants.
Dans cette mécanique où se côtoient de grands enjeux et une multitude de ” petites choses ” du quotidien, les éducateurs spécialisés de la maison commune jouent un rôle important. « Il y a un référent pour chaque maison ce qui nous permet d’être au plus près des besoins de chaque enfant, mais aussi du fonctionnement au jour le jour de la maison », explique Audrey Bellon, référente pour trois des maisons du village de Marseille depuis mars 2021. L’éducateur spécialisé a un rôle essentiel de coordination du parcours de l’enfant. Il est l’interlocuteur du juge des enfants et de l’aide sociale à l’enfance. Pour cela, il doit sans cesse être attentif à l’évolution de l’enfant et au recueil de sa parole. Audrey définit ce poste comme celui de vigie et de soutien dans la mise en œuvre d’un projet personnalisé pour chaque enfant.
Ce projet d’accompagnement personnalisé (PAP) constitue une sorte de cartographie des attentes, des besoins et des aptitudes de l’enfant et des points sur lesquels l’équipe du village doit concentrer son accompagnement. Chaque PAP est construit en fonction de l’histoire de l’enfant, de sa personnalité, de ses traumatismes, de ses envies et de la prise en compte essentielle du lien qui unit les fratries… « Nous échangeons avec les éducateurs familiaux et les aides familiaux chaque jour, poursuit Audrey Bellon. Nous voyons aussi les enfants lorsqu’ils reviennent de l’école, lorsqu’ils vont en consultation chez la psychologue, avant leurs rendez-vous importants, que cela soit avec le juge ou leurs parents. » Et la référente joue occasionnellement un rôle de médiatrice entre ces derniers et les mères ou les pères SOS. « Les enfants peuvent être pris dans un conflit de loyauté, remarque-t-elle. La question du double attachement n’est pas simple à vivre pour eux. Notre rôle est alors de recontextualiser, d’expliquer et d’apaiser les tensions latentes. »
Esprit d’équipe
Les différentes rencontres et réunions permettent à chaque professionnel d’apporter sa propre expertise. Et ces adultes sont, pour les enfants, autant de personnes-ressources avec lesquelles ils peuvent créer des liens d’attachement. « Nous formons une équipe, pour ne pas dire une famille, solidaire, formule Josette, ce qui passe aussi par de toutes petites choses. Quand nous partons à l’école le matin et que nous croisons l’homme qui entretient le village, nous nous arrêtons toujours à sa hauteur pour discuter quelques instants et… blaguer. ”Oh, vous allez à l’école, dit-il aux enfants. Vous avez de la chance. Faites-moi une petite place, je vais venir avec vous.”. Les enfants s’amusent et partent vers l’école en riant à ses blagues. »
Alain Adamiak cite également l’exemple d’un agent d’entretien qui travaille depuis plus de 24 ans à Calais. « Avec sa gentillesse, c’est une figure du village, sourit le directeur. Lorsqu’un garçon ou une fille manifeste un mal-être, il n’est pas rare qu’il l’emmène quelques heures sur ses chantiers de rénovation. Ils partagent alors un moment hors des contraintes habituelles, ont d’autres types de discussions… et cela fait, de temps en temps, de petits miracles. »
La porte du bureau de Séverine Libéral est, quant à elle, toujours ouverte aux enfants. Récemment, Rémy, 5 ans, y a passé le bout du nez. « Tu sais, je sais faire du vélo sans les petites roues maintenant, lui a-t-il annoncé sans préambule. « Vraiment ? Allez, viens, tu vas me montrer ça ! », a immédiatement réagi la directrice pour la plus grande fierté du garçonnet.
L’esprit d’équipe que l’on trouve dans les villages prend tout son sens lors des moments plus compliqués. Séverine Libéral se souvient d’une mère SOS confrontée à des manifestations de souffrance très difficiles de trois fillettes âgées de 3 à 6 ans. Celles-ci vivaient alors des relations très compliquées avec leurs parents respectifs. Dès qu’elles rentraient de l’école, les cris de colère retentissaient, les objets de la maison valsaient dans les pièces, les insultes fusaient et les nuits étaient marquées par d’incessants réveils. « La situation devenait difficile à gérer seule pour l’éducatrice familiale. Elle se sentait démunie, raconte la directrice. Alors, pendant plus d’un mois, tous les éducateurs et notre animatrice se sont relayés pour assurer, chaque jour, une présence sur place, de la fin d’après-midi jusqu’au coucher des enfants. » Le village a aussi fait l’acquisition d’exemplaires de « Mon petit Morphée », sorte de radio numérique qui raconte des histoires écrites par des professionnels de la relaxation de l’enfant. Désormais, lorsque la mère SOS s’occupe de l’un, les autres écoutent sagement une histoire apaisante.
Comme le souligne Alain Adamiak, dans un village SOS, chaque professionnel a valeur d’exemple pour les enfants qui y sont accueillis. « L’une des premières qualités que je demande à tous les salariés, c’est la bonne humeur, ajoute-t-il. Les enfants qui sont chez nous n’ont pas demandé à venir. Leur début dans la vie est difficile et ils souffrent presque tous de traumatismes qui peuvent les paralyser ou leur faire adopter des comportements inadaptés à leur épanouissement et leur développement. Notre mission, c’est de les tirer vers le haut, vers les sourires, vers la vie. »