Sport et culture : un droit qui fait du bien ! - SOS Villages d'Enfants

Sport et culture : un droit qui fait du bien !

 

 

Prendre confiance en soi, développer sa créativité, découvrir ses compétences, aider l’autre et accepter de se faire aider : les activités sportives et artistiques sont des ressources précieuses pour amener les enfants et les jeunes des villages d’enfants SOS à surmonter leurs traumatismes et à gagner en autonomie.

 

Ce 19 mai 2017, lorsque, après 1 heure 25 minutes et 14 secondes, Jérémy*, épuisé, a franchi la ligne d’arrivée en levant les bras, Olivia Buniet n’a pas cherché à retenir ses larmes de joie. Le jeune homme de 16 ans terminait pourtant à la dernière place de la Sablaisienne, une redoutable course qui se déroule à la fois sur le bitume et sur le sable de la plage de Calais. « Mais il s’était surpassé, se souvient l’aide familiale du village SOS calaisien. Jusqu’à la dernière seconde, il a été applaudi, encouragé par ses copains, le public et le speaker de la course. » Ce jour-là, Jérémy remportait une victoire bien plus précieuse que le médaillé du jour, qui avait franchi la ligne d’arrivée en moins de 36 minutes. Adolescent souffrant d’une obésité quasi morbide, il était arrivé au village d’enfants SOS en 2014, après l’abandon par sa mère de ses quatre enfants.

L’activité préférée de Jérémy était plutôt la danse urbaine, mais il s’est lancé dans ce défi sportif inspiré par l’exemple d’Olivia Buniet. Membre d’un club de course à pied, l’aide familiale ne cesse de partager sa passion avec les enfants du village calaisien en leur permettant de participer aux compétitions organisées localement. « Beaucoup attendent ces rendez-vous, y compris les moins sportifs, explique-t-elle. Il ne s’agit jamais de chercher un podium, mais juste de se rendre compte des bienfaits de l’activité physique. » Un message que Jérémy a bien compris. Progresser dans le sable, le vent de face, doublé par des dizaines de sportifs surentraînés, n’a rien de facile. Mais il est allé au bout de son effort : champion de lui-même.

 

UN DROIT À DÉFENDRE

 

Faire du sport, suivre une activité artistique ou culturelle, ce n’est pas seulement se dépenser, exprimer sa créativité ou se détendre. C’est aussi, pour les enfants et les jeunes des villages SOS comme pour les autres, changer de cadre, échanger avec des personnes qui n’appartiennent pas à notre environnement habituel, expérimenter, se surpasser parfois, se découvrir toujours, et emmagasiner des souvenirs qui nourriront de futures manières d’être et de penser. Et c’est pourquoi le droit au repos, aux loisirs, au sport et à la culture est inclus dans l’article 31 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le Défenseur des enfants y consacrera notamment son prochain rapport, auquel SOS Villages d’Enfants a apporté sa contribution. Car, pour l’association française, faciliter l’accès à ces pratiques est une absolue priorité. « Les enfants accueillis en villages SOS sont fragilisés par leur histoire familiale, les maltraitances et les délaissements qu’ils ont souvent subis et, à l’adolescence, beaucoup ressentent de la défiance vis-à-vis de leurs référents éducatifs : mères SOS, éducateurs, enseignants », explique Olivier Dricot, responsable de la Maison Claire Morandat, établissement valenciennois de SOS Villages d’Enfants, dédié à l’accompagnement des jeunes de 16-21 ans vers l’autonomie. « Les activités sportives et culturelles sont des leviers de résilience. Elles leur permettent d’entrer en contact avec des adultes, avec lesquels ils ont un rapport affectif et éducatif plus distant, ce qui les aide à réviser, rééquilibrer leur comportement.» C’est aussi une manière de les inclure dans une forme de « normalité», puisque la plupart des jeunes du même âge vivant avec leurs parents ont accès à ces pratiques. « Et puis, sur un terrain de football, ils sont regardés comme attaquant, défenseur, gardien… pas comme des jeunes de l’aide sociale à l’enfance », ajoute Olivier Dricot.

 

SE SENTIR BIEN AU QUOTIDIEN ET S’INSÉRER SANS SON ENVIRONNEMENT

 

Au sein des villages SOS, le sport relève des fondamentaux de la prise en charge. Dans son bureau comme en voiture, Antoine Thouroude, directeur du village de Digneles-Bains, a toujours un ballon à portée de main. « Le sport fait partie de ma vie personnelle, explique-t-il. Ne pas cacher ces ballons a une valeur d’exemple : l’activité physique est une pratique normale, habituelle. » À chaque rentrée scolaire, les équipes du village de Digne-les-Bains emmènent les enfants au forum des associations et les incitent à s’inscrire à une activité pour l’année. « Cela ne va pas de soi pour eux, poursuit Antoine Thouroude. Beaucoup viennent de familles en difficultés sociales ou économiques dans lesquelles faire du sport n’était pas une priorité. Chez nous, ça l’est ! » Presque tous les enfants pratiquent donc un sport, à l’exception de quelques adolescents qui arrêtent, ce que regrette le directeur : « Les activités sportives occupent l’esprit, mais nourrissent aussi la vie sociale.» Pour les autres, le sport a une telle place que, lorsqu’un week-end chez les parents est prévu un jour de compétition, beaucoup d’enfants rechignent à laisser leurs copains. Quand c’est possible, l’équipe du village propose donc aux parents de les accompagner à ces rendez-vous sportifs. « Certains
ont des échanges assez limités avec leurs enfants, c’est donc aussi une manière d’enrichir les liens entre eux », ajoute Antoine Thouroude.

 

Les 40 enfants du village de Digne ont également tous un vélo que les plus grands utilisent pour se rendre en ville ou à l’école. En fin de semaine, enfants et adultes du village qui le souhaitent participent ensemble à de petites courses. « Cela permet d’évacuer le stress de la semaine, mais c’est aussi un temps de partage très différent entre les jeunes et les encadrants, explique le directeur du village. Les adultes ne sont pas toujours les plus forts à l’exercice, et les enfants deviennent alors ceux qui soutiennent et encouragent. C’est très valorisant. » Enfin, le directeur de Digne-les-Bains, qui pratique le parapente, va proposer à certains jeunes en difficulté un stage de cinq jours autour de ce sport. De quoi gonfler leur confiance en eux autant qu’une voile de parapente ! Pour certains, la découverte du sport est
une révélation.

 

Dylan*, 16 ans, ne connaissait presque rien au rugby avant qu’un de ses copains du village de Persan ne l’emmène voir un match au stade Jean-Bouin, à Paris. Il avait alors 10 ans et venait d’arriver au village SOS après le décès de sa mère. Séduit par ce jeu, il s’y essaye et se découvre un réel talent, au point d’être un jour repéré par le prestigieux club du Montpellier Hérault Rugby. Dylan suit aujourd’hui un cursus sport-études et espère passer professionnel à sa majorité. « Il y a beaucoup de concurrence, dit le jeune homme, qui mise sur ses points forts : vitesse et puissance. Et si je ne deviens pas joueur, je serai entraîneur. » De ce sportif très prometteur, Mélanie Rodrigues-Pula, son aide familiale, souligne qu’il a toujours été un enfant facile et souriant. « Il n’a jamais voulu qu’on lui “colle l’étiquette” d’enfant confié. Pour lui, jouer au rugby, c’était aussi sortir de l’environnement du village, échanger avec d’autres jeunes, d’autres adultes, se confronter à des contraintes différentes. Et partir en internat si jeune lui a fait gagner en maturité très rapidement. » « Le rugby m’a aidé à faire mon deuil, analyse-t-il. Sur le terrain, on est une équipe, un collectif solidaire, on se bat pour les autres.C’est une manière de ne pas s’enfermer dans ses soucis.»

 

UN OUTIL THÉRAPEUTIQUE

 

Jouer la carte collective, c’est aussi l’un des atouts du programme d’épanouissement par le sport (PEPS). Chaque année, il permet à une soixantaine de jeunes de 12 à 16 ans de participer à des séjours sportifs d’une semaine : équitation, randonnée et sports aquatiques (natation, plongée, kayak, voile). Le programme a été créé en 2010 pour aider les adolescents ayant des rapports compliqués avec les adultes, la notion de règles ou souffrant d’un manque de confiance en eux. Car si les séjours font la part belle aux activités collectives, leur finalité est de faire évoluer chacun individuellement : « L’adolescence est un énorme bouleversement physique, psychologique et relationnel, rappelle Moustapha Benherrat, responsable du PEPS. Pour des enfants ayant des traumatismes psychologiques, la période est souvent difficile à vivre. Certains ont un rapport compliqué à leur corps. Confrontés à la nature, au groupe, à l’effort, à la persévérance, ils sont poussés à évoluer. Non pour nier leur histoire, mais pour l’intégrer dans leur vie et avancer. Ces séjours sont thérapeutiques : ils mettent de l’harmonie entre le corps et l’esprit. » C’est ce que vit Lisa*, 14 ans, du village SOS de Châteaudun. La jeune fille nourrit de nombreuses idées noires, se scarifie, évoque parfois le suicide. Seule fille d’une fratrie de cinq enfants, elle a grandi avec l’injonction familiale d’être forte, de ne jamais pleurer, et se sent responsable de ses deux petits frères de 9 et 12 ans, comme « une petite mère de substitution ». « Mais son comportement s’est beaucoup amélioré cette année et il ne fait aucun doute que sa participation au PEPS Randonnée y a beaucoup contribué», se réjouit Ilona Grouzé, éducatrice au village SOS de Châteaudun et encadrante sur les séjours sportifs. L’activité physique a aidé Lisa à évacuer son stress et à chasser ses idées les plus sombres, qui naissent des responsabilités qu’elle s’impose et qui sont bien trop grandes pour elle. « Avec le stage sportif, Lisa a appris à faire confiance aux adultes et à mieux verbaliser son mal-être, complète l’éducatrice. Elle a été éloignée de ses parents et a vécu des ruptures, mais elle a pris conscience que même si les gens ne sont pas là pour toujours, il est possible de vivre avec eux des expériences fortes, sincères, positives, comme elle l’a fait pendant les séjours sportifs. »

 

Pendant un stage, l’activité physique est centrale, mais ne représente qu’une partie de ce qui se joue. Avant et après le sport, il y a le quotidien : faire son sac, se déplacer, faire les courses, préparer les repas, ranger, nettoyer, organiser les soirées… « Cette vie collective est tout aussi importante dans l’évolution comportementale des adolescents, explique Lydie Fasilleau, éducatrice familiale au village de Calais. Ainsi, au début du séjour, certains cherchent à esquiver les tâches ménagères, mais à la fin, ils sont tous volontaires pour aider. » Le cercle nautique de la baie du Pouliguen a accueilli le stage de sport 2023. Lydie se souvient encore avec émotion du jour où les jeunes se sont mis à l’eau pour aider de petits bateaux conduits par de tout jeunes navigateurs, à rentrer en les poussant sur la plage. « Ce coup de main spontané, le directeur du cercle ne l’avait jamais vu avant ! Nous étions si fiers de nos jeunes. »

 

Pour les encadrants du programme d’épanouissement par le sport, mais aussi pour les mères et pères SOS, la nouvelle confiance en soi acquise pendant les stages est visible : finis les postures un peu gauches, les regards fuyants ou les dos courbés. « Après les séjours, les regards sont plus francs, les ados se redressent, prennent soin de leur apparence, confirme Olivier Dricot. Mais le programme prend toute sa dimension lorsque les éducateurs les aident à transposer leurs nouvelles compétences dans leur quotidien. Lorsqu’un jeune stresse avant une épreuve scolaire, alors qu’il s’est montré parfaitement prêt, confiant ou leader sur un mur d’escalade, notre rôle est de l’aider à faire le pont entre ces deux moments de vie. »

 

Enfin, pour les jeunes les plus en difficulté, des stages de sport individuels existent également. Pendant quatre week-ends programmés sur une période de six mois autour d’une activité physique, le jeune peut avancer en tête-à-tête avec Moustapha Benherrat. Devenir professeur d’éducation physique et sportive, c’est l’ambition de Zoé*, 17ans, accueillie au village de Calais depuis sept ans. « Je suis d’un caractère timide, le sport m’a aidée à m’ouvrir aux autres, dit la jeune fille.D’ailleurs, à la fin des séjours, lorsqu’on sait qu’on ne se reverra plus, les larmes coulent ! On vit des moments si forts. » Moustapha Benherrat lui a donc proposé de continuer, mais, cette fois, comme stagiaire. « Je suis passée du côté de ceux qui aident et encadrent, c’est super ! Je participe aux réunions du soir, pendant lesquelles les
adultes font le point sur la journée et sur les comportements des uns et des autres. J’apporte mon regard de jeune, qui est différent, et c’est, pour moi, une manière d’apprendre mon futur métier. »

 

LA CULTURE, VECTEUR D’EXPRESSION ET DE RÉSILIENCE

 

L’activité artistique est une autre manière d’accéder à ce droit aux loisirs. Celle-ci est bien sûr pratiquée dans chaque village, mais celui de Châteaudun a pour particularité de posséder une maison des activités qui y est entièrement dédiée. « Nous l’avons aménagée avec les enfants, essentiellement à partir d’objets de récupération: c’est leur petit cocon », se félicite son initiatrice, Lara Obrecht, monitrice-éducatrice et art-thérapeute du village. Une grande pièce à vivre accueille canapés et bibliothèque, une cuisine permet d’organiser des soirées pizzas ou crêpes, le garage abrite une table de ping-pong, un babyfoot, des outils pour le jardin. À l’étage se trouvent un atelier d’expression artistique et une pièce de repos et d’isolement baptisée « Doudous room » par les enfants. « Faire preuve de créativité, c’est exprimer sa capacité à vivre, explique l’éducatrice. Lorsqu’un enfant trouve comment transformer une vilaine coulure de peinture sur son dessin en quelque chose d’intéressant, il saura, demain, faire face à d’autres obstacles sans rester dans la frustration, la colère ou l’apitoiement. » Tout comme le sport, l’art permet aux jeunes qui sousestiment leurs compétences ou les nient de se regarder différemment. Lara Obrecht se souvient d’un échange avec Jeanne*, une jeune fille particulièrement exigeante avec elle-même, alors âgée de 14 ans. Ce jour-là, Lara l’avait invitée à « jeter des couleurs» sur une feuille. Jouer sur les taches, le geste, la spontanéité n’allait pas de soi pour elle. « C’est très moche, ce que j’ai fait», a-t-elle lancé à l’éducatrice, sa création achevée. Lara Obrecht a alors accroché la feuille au mur et a demandé aux autres enfants de l’observer. « L’un a dit “je vois un soleil”, se rappelle l’éducatrice. D’autres y ont vu des fleurs, de la joie. Une petite a même lancé: “C’est un champ dans lequel j’aimerais courir”. Les yeux de Jeanne se sont écarquillés. “Ce n’est peut-être pas si moche, ce que j’ai fait”, m’a-t-elle dit timidement. C’était pour elle une immense victoire d’acceptation de ses qualités. Les enfants des villages ont parfois un regard négatif sur eux-mêmes car ils se sentent coupables d’avoir été confiés hors de leur famille. Peindre, modeler, bricoler… c’est extérioriser ses sentiments, trouver un chemin de paix intérieure. »

 

Les bénéfices à la fois individuels et collectifs des pratiques sportives et culturelles sont nombreux. Mais mettre en place ces rendez-vous exige un investissement financier, et surtout beaucoup de temps et d’implication des équipes. « Enfants comme adultes des villages ont des agendas très chargés et cela demande, en effet, une grande capacité d’organisation, confirme Antoine Thouroude. Mères et pères SOS, éducateurs, encadrants ou agents d’entretien, il nous arrive à tous de répondre présent lorsqu’il s’agit d’emmener l’un au judo, avant de récupérer l’autre à la fin de son entraînement de foot. Mais cela vaut le coup ! » Et puis, si les jeunes gagnent en autonomie, évacuent leur stress, apprennent à gérer de nouvelles contraintes, à se socialiser différemment, ces pratiques profitent aussi aux professionnels. « Les jeunes nous offrent une autre version d’eux-mêmes à partir de laquelle nous pouvons faire évoluer notre accompagnement, conclut Moustapha Benherrat. En fin de compte, nous grandissons ensemble ! »

 

 

* Les prénoms des enfants ont été modifiés