Agir avec les familles dans l’intérêt des enfants

Agir avec les familles dans l’intérêt des enfants

Agir dans l’intérêt des enfants, prendre en compte à la fois leurs besoins fondamentaux, et faire respecter leurs droits, c’est aussi agir au cœur des familles. Pour cela, SOS Villages d’Enfants intervient dans le cadre des Maisons des Familles et du Programme de Renforcement des Familles (PRF) à la demande des juges des enfants, de l’Aide Sociale à l’Enfance ou des familles elles-mêmes. Présentation de ces deux dispositifs que développe l’association depuis quelques années dans le cadre de la protection de l’enfance.

 

Programme de renforcement des familles

Nous sommes au village d’enfants SOS de Châteaudun, en avril dernier. La porte d’entrée de la “Maison des Familles” est ouverte. Sur le seuil, Jean(1), la quarantaine, attend, un peu fébrile, Kévin et Jérémy, deux de ses enfants, âgés de 12 ans et 14 ans. Jean ne les a pas vus depuis sept mois. Sept mois, soit la durée de son incarcération pour des coups portés à l’un des enfants de son actuelle compagne. Les garçons arrivent en courant et se jettent dans ses bras. Les retrouvailles sont touchantes, mais les garçons ne sont pas naïfs. Ils savent pourquoi leur père a été emprisonné, qu’il a été aussi violent avec sa compagne et que, pour eux, n’a jamais correctement assuré son rôle de père. Après un moment d’échanges dans le salon, ils passent à table.

 

Kévin et Jérémy bombardent leur père de questions sur sa vie en prison. “Est-ce que tu prenais une douche tous les jours ?” ; “Qu’est-ce que tu mangeais ?”… Jean se confie volontiers mais sans toujours utiliser les mots adéquats et lorsqu’il commence à fanfaronner à propos d’une bagarre avec ses codétenus, Marine Charpentier, éducatrice de SOS Villages d’Enfants intervient. “Monsieur, vous ne pouvez pas vous vanter de ça ! C’est pour des faits similaires que vous avez été incarcéré et vos enfants placés.” Dès les premiers instants de la rencontre, Marine Charpentier a assuré une présence discrète, mais vigilante. Sans elle, la parole du père – aussi déplacée soit-elle – n’aurait eu aucun contrepoint. 

 

Permettre le maintien d’un lien entre les parents et les enfants accueillis dans les villages d’enfants SOS dans un cadre sécurisant, voilà la finalité des Maisons des Familles de SOS Villages d’Enfants. Comme leur nom l’indique, il s’agit d’espaces de vie classiques de la vie de famille (salon, cuisine, chambre, salle de bain…) qui permettent l’exercice du droit de visite des parents. Mais au-delà de cet objectif légal, ces maisons visent surtout à renforcer les compétences des parents, à les guider dans leur responsabilité de parents, aimants et attentifs aux besoins des enfants… On trouve aujourd’hui des Maisons de Familles dans la plupart des villages d’enfants SOS de France, certaines disposent même de temps d’éducateur dédié.

 

Ouverte en 2015, celle de Châteaudun est une jolie bâtisse de 110 m2 répartis sur deux étages. “C’est un lieu chaleureux, loin de l’univers médical ou judiciaire qui favorise des échanges apaisés tout en étant très rassurants pour les enfants”, souligne Marine Charpentier. Si ces maisons peuvent être un simple lieu de rendez-vous pour des visites libres, dans la majorité des cas, la présence d’un tiers (éducateur) a été requise par le magistrat soit de manière permanente (“visites médiatisées”), soit intermittente (“visites accompagnées”), en fonction des carences éducatives des parents. Pour ces derniers, l’enjeu est crucial puisque la manière dont ils se comportent pendant ces temps partagés avec leurs enfants conditionne en partie la suite de leur droit de visite ou d’hébergement. Le rôle de parent se joue sur une palette variée qui comprend la filiation, l’autorité parentale (d’autres pays parlent à présent de responsabilité éducative), la fréquence des rencontres et la nature des liens que l’on est en capacité de construire avec l’enfant. C’est sur l’ensemble de ces registres que les éducateurs et les familles composent avec comme horizon l’intérêt des enfants.

 

À Châteaudun, 35 des 50 enfants accueillis bénéficient de ces visites souvent organisées les mercredis et samedis afin que leur scolarité n’en pâtisse pas. Elles durent en moyenne 2 heures et lorsque la fratrie compte de nombreux enfants, elles peuvent se dérouler en deux temps afin que les parents puissent donner à chacun l’attention qu’ils réclament. “La question du maintien des liens entre des enfants et des adultes leur ayant causé du tort fait encore parfois débat, reconnaît Eric Bellin du Coteau, directeur du village d’enfants SOS de Châteaudun. Mais être séparé de ses parents ne signifie pas, dans l’immense majorité des cas, être coupé de ceux-ci. Il faut rappeler qu’un enfant séparé de ses parents est toujours un enfant qui souffre. Lui donner la possibilité de les voir, même brièvement, répond à l’une de ses attentes affectives.

UN CADRE SÉCURE POUR RÉAPPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE

Préparer un repas, faire un jeu de société, donner un coup de main pour les devoirs, partir en promenade ou, simplement, se raconter ses journées… pour banales qu’elles soient, les activités partagées par les parents et les enfants dans les Maisons des Familles n’ont rien d’évident pour les premiers concernés. “Au début, le contexte est toujours déstabilisant pour eux, reconnaît Eric Bellin du Coteau. Le rôle de nos éducatrices, expertes en la matière, est essentiel pour reconstruire, en les stimulant, ces liens parentaux et créer un climat de relations naturelles apaisées.” Marine Charpentier confirme que beaucoup de ces parents ne savent pas comment se comporter avec leurs enfants. “Ils ont, ou ont eu, pour certains des problèmes d’addiction, sont souvent socialement vulnérables et économiquement précaires, souffrent parfois de troubles psychologiques et ont souvent eux-mêmes vécu des enfances compliquées… Tout cela explique pourquoi les relations sont si difficiles”. Mais loin de les disqualifier, les éducateurs des Maisons des Familles sont, au contraire, là pour valoriser leurs compétences. 

 

« On reprend les bases de ce que c’est être parent pour eux, ce qui passe par les notions d’hygiène, d’alimentation, de posture d’autorité, de jeux, de mots employés…”, poursuit l’éducatrice. Ce travail sur eux-mêmes demande du temps à ces adultes qui ont presque tous perdu confiance dans leurs propres capacités éducatives. “Nous sommes vigilants aux mots dits et aux gestes faits, ce ne sont pas des lieux de surveillance, insiste Eric Bellin du Coteau. Ce sont des espaces d’observation et de construction. Ces visites médiatisées doivent les aider à se regarder eux-mêmes différemment ce qui est une étape nécessaire pour que leurs comportements vis-à-vis des enfants changent”.

 

familleLes éducateurs des Maisons des Familles ont aussi pour mission d’expliquer aux enfants pourquoi ces visites familiales encadrées ont lieu, ce qu’elles peuvent leur apporter, mais aussi leur dire qu’ils sont en droit de les refuser. “Cela arrive parfois, explique Marine Charpentier, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un dispositif qui fait du bien aux enfants”. Une analyse que partage Eric Bellin du Coteau qui souligne toutefois que la position de l’enfant n’est pas facile. “Il vit parfois un conflit de loyauté puisque le cadre aimant et sécurisant des villages d’enfants SOS lui a fait prendre toute la mesure des manques qu’il subissait, mais bien qu’ayant conscience des défaillances de ses parents, il leur reste attaché. C’est pourquoi il est essentiel que ces rencontres soient encadrées par des professionnels experts des liens d’attachements sécure”.

 

De son côté, Marine Charpentier a pu observer que les enfants comprennent très vite l’intérêt de sa présence. “Certains demandent d’ailleurs que je reste tout au long du rendez-vous même lorsque cela n’est pas imposé par le juge”. Les parents ont quant à eux besoin de plus de temps pour que la relation de confiance se crée. Certains ne comprennent pas la démarche, estiment n’avoir rien à se reprocher ou qu’ils se comportent correctement lors des visites médiatisées alors que les éducateurs portent un regard bien différent. “Mais dans la plupart des cas, la relation de confiance finit par se créer, assure Marine Charpentier. Les parents comprennent qu’on est là pour les aider. Cela prend souvent quelques mois, mais ça marche !”. Conçue comme un espace de rencontre, la Maison des Familles de Châteaudun est peu à peu devenue un espace multiservices au service du soutien à la parentalité. C’est un lieu de dialogue entre les parents est le reste de l’équipe du village d’enfants SOS : psychologue, éducatrice scolaire, administration…

 

Convaincue de l’efficacité de cet accompagnement, l’équipe du village d’enfants SOS de Châteaudun aimerait d’ailleurs pouvoir continuer à suivre à domicile les parents auxquels le droit de vivre à nouveau avec leurs enfants a été accordé.


UNE GUIDANCE PARENTALE POUR ÉVITER LE PLACEMENT

Épauler les parents chez eux, c’est précisément ce que font d’autres professionnels de SOS Villages d’Enfants du Nord et du Pas-de-Calais dans le cadre du Programme de Renforcement des Familles en France (PRF). Ce dispositif concerne uniquement les familles dont les enfants ne sont pas placés. “C’est précisément pour éviter l’éloignement que l’ouverture d’un PRF est décidée par les conseils départementaux”, explique Alain Adamiak, directeur du village d’enfants SOS de Calais. Cette mesure de prévention s’apparente à un “coaching” pour des pères et mères dont les comportements pourraient, s’ils ne changeaient pas, compromettre la santé, la sécurité, l’éducation ou le développement de leurs enfants. Les PRF se mettent en place à travers deux dispositifs légaux : l’accompagnement à la parentalité et l’Action Éducative en Milieu Ouvert (AEMO). Dans le premier cas, l’intervention s’effectue à la demande des parents qui ont connu le PRF par les Services sociaux, les centres de PMI, les puéricultrices, les crèches, les écoles… Pour l’AEMO, cet accompagnement est imposé par un juge des enfants. “Les situations sont alors plus aiguës et ces familles sont généralement bien connues des services sociaux”, complète le directeur du village d’enfants SOS de Calais. Dans le cadre du PRF, le village d’enfants SOS de Calais accompagne 16 enfants âgés de 0 à 6 ans, issus de 8 familles.

 

photo Dossier maison des famillesLa mesure est décidée pour 6 mois renouvelables. Elle est assurée par deux éducatrices de jeunes enfants, aidées du responsable des programmes éducatifs du village d’enfants SOS, d’une psychologue et d’une auxiliaire de puériculture. “Nous venons lors de temps forts de la journée de l’enfant : repas, toilette, lever, coucher, accompagnement à une activité de loisir, à l’école, etc., explique Déborah Courquin, l’une des deux éducatrices. Après quelques semaines d’observation, nous définissons avec les parents leurs points forts et les compétences qu’ils doivent renforcer. C’est un travail de guidance, qui permet de co-construire de nouvelles façons de se comporter, de parler et de s’adapter à l’enfant. Comment réagir à ses colères, ses pleurs, son mutisme, etc.? Nous veillons toujours à ne jamais les dévaloriser devant les petits ; les parents sont nos partenaires !”. Déborah Courquin qui a été éducatrice en villages d’enfants SOS avant de travailler pour le PRF note que les relations avec les parents sont différentes de celles constatées en village d’enfants SOS. “Nous entrons dans leur intimité deux à trois fois par semaine. Et une fois la méfiance initiale tombée, les familles osent beaucoup plus se confier sur leurs fragilités que ne le font celles dont les enfants sont confiés”.

 

Chaque rencontre dure de 30 minutes à 1h30 selon les besoins de la famille. Elles sont souvent convenues à l’avance, mais l’éducatrice peut aussi passer de manière impromptue ou répondre à une sollicitation de la famille sans délai. Ce travail au domicile est complété par des participations à des ateliers (jeux, cuisine…) organisés au village d’enfant SOS, des conférences, de l’accompagnement aux rendez-vous médicaux, etc.

 

Les parents disposent également d’un numéro d’urgence joignable 24 h sur 24 h et en cas de situation critique, le village d’enfants SOS de Calais dispose d’une possibilité dite de “repli” : dans le Programme de Renforcement des Familles la possibilité d’hébergement est pensée d’abord comme un moyen de protection qui vise à faire cesser une situation immédiate de danger pour l’enfant. L’accueil exceptionnel ou repli est réalisé lors d’un temps de crise ou de tensions montantes risquant de mettre en cause l’intégrité physique ou psychologique de l’enfant.Cette possibilité est mobilisable 24h/24h et 7 jours/7 jours.

 

Lorsque la famille ou l’enfant refuse l’accueil, les moyens sont mis en œuvre pour protéger l’enfant, en fonction de l’immédiateté du danger.Il s’agit d’une maison du village dans laquelle les enfants peuvent être hébergés sans délai et pour une durée de 15 jours maximum.Les modalités d’intervention des PRF dépendent des besoins identifiés par les conseils départementaux. Si, dans le Pas-de-Calais, la mesure ne concerne que des enfants âgés de 6 ans au plus, ce n’est pas le cas dans le Nord. Dans ce département, l’équipe peut intervenir auprès des familles ayant des enfants jusqu’à 18 ans, mais avec des modalités différentes selon les secteurs géographiques. Ainsi, sur le secteur de Condé-Sur-Escault, elle fait de l’aide à la parentalité auprès de 11 familles volontaires au rythme d’une fois par semaine.

 

Dans le Cambraisis, il s’agit uniquement d’Assistance éducative en Milieu Ouvert (AEMO) pour 12 enfants. Les rencontres avec les familles se font à la fréquence d’au moins deux fois par semaine et sur une plage horaire qui va de 8 h à 22 h.Là aussi, les parents disposent d’un numéro d’urgence joignable 24 h sur 24 et il existe une possibilité de replis pour 72 h. “Nous sommes souvent contactés lors de nos permanences de nuit et de week-end, explique Amélia Dormal, éducatrice spécialisée.

 

Nous avons beaucoup de familles avec des adolescents et les problématiques liées à cette période de la vie (fugue, alcool, drogues, rébellion, violence…) sont nombreuses. Nous pouvons d’ailleurs organiser des replis programmés, autrement dit, inviter les enfants à passer quelques heures hors du domicile, le temps d’apaiser les tensions”.Le lien de confiance doit se créer avec les parents comme avec les adolescents.

 

“Cela fonctionne assez bien, assure l’éducatrice, car nous ne sommes pas dans une position de censeurs. Nous arrivons en leur demandant : Comment pouvons-nous vous aider ? Pour ces familles souvent très isolées où généralement les adultes ne travaillent pas, cette main tendue représente beaucoup”. Les Maisons des Familles et le Programme de Renforcement des Familles en France viennent donc diversifier et compléter le dispositif “historique” de protection de l’enfance de SOS Villages d’Enfants. “C’est une évolution qui répond aux enjeux actuels, conclut Alain Adamiak. Rester sur l’unique réponse d’accueil des fratries dans des villages d’enfants sos, ce serait passer à côté des nouvelles réalités de la protection de l’enfance. Favoriser la création de liens parentaux de qualité c’est aussi protéger les enfants”.

 

Pour en savoir plus sur le Programme de Renforcement des Familles

PRF - Programme de renforcement de la familleLe PRF répond en majorité aux besoins d’accompagnement dès les premiers âges de la vie (0 à 12 ans) et souvent dans les situations où il y a plusieurs enfants au vu de notre engagement associatif pour que frères et sœurs partagent la même enfance. La relation entre parents et enfants se construit chaque jour à travers d’innombrables détails, mots, émotions, attentions, angoisses ou joies. C’est petit à petit que se constituent des savoir-être et des savoir- faire qui font le fonctionnement du système familial. Au-delà de l’autorité parentale c’est la question des liens d’attachement qui se nouent et se distendent, c’est le couple de parents qui se découvrent et la fratrie qui se construit. Le PRF c’est un appui très concret dans le quotidien.

 

Par exemple, si nous évoquons la difficulté d’endormissement ou l’agitation des enfants au coucher, nous allons proposer aux parents d’être avec eux durant ce temps de soirée. Évidemment ce type de “coaching familial” ne va pas de soi mais il permet d’être confrontés ensemble à l’angoisse de l’enfant et de partager notre analyse et d’échanger sur des solutions qui pourraient concourir à l’apaisement. “Ce temps partagé nous permet d’aborder ce qui est difficile pour la famille avec un regard neuf. On est plus légitimes et entendus pour imaginer et proposer des réponses concrètes et durables pour les enfants, aux parents souvent démunis”. Afin de stabiliser la famille, y compris dans des circonstances critiques, le renforcement familial nécessite aussi de tisser une vaste toile partenariale avec la PMI (Protection Maternelle et Infantile), les écoles, les équipes et professionnels du soutien à la parentalité qui prendront le relais dans le droit commun à la fin de la mesure. Il s’agit de devenir des “faiseurs de liens” au service du meilleur intérêt de l’enfant.