Créer des opportunités pour les familles déplacées dans le nord de l'Irak - SOS Villages d'Enfants

Créer des opportunités pour les familles déplacées dans le nord de l’Irak

ENTRETIEN AVEC LUCIANA D’ABRAMO, RESPONSABLE URGENCES POUR LE MOYEN-ORIENT ET L’AFRIQUE DU NORD.

Luciana D’Abramo est la responsable urgences pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Dans cet entretien, elle explique l’impact du programme de secours d’urgence sur les personnes déplacées à Dohuk.

Le UNHCR estime que plus de 3 millions d’Iraquiens ont été déplacés à l’intérieur du pays depuis le début de 2014. Selon les dernières statistiques du Board of Relief and Humanitarian Affairs (BRHA) du gouvernement de Dohuk et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le gouvernement de Duhok accueille le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du Kurdistan irakien avec 500 000 personnes déplacées et le deuxième plus grand nombre en Irak, après le gouvernorat de Ninive.

 

Quel est l’impact de nos projets sur la communauté déplacée vivant à Duhok ?

L’impact de notre programme sur la communauté déplacée de Duhok reste très élevé. De septembre 2016 à avril 2018, nous avons pu atteindre jusqu’à 10.000 participants à travers différents services et supports. Notre programme a été conçu sur mesure pour répondre aux besoins des personnes fortement touchées par la crise. Nous avons adopté une approche unique, basée sur l’évaluation des besoins et les discussions de groupes de discussion, qui se concentre sur le service aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays au niveau individuel, familial et communautaire.

Au niveau individuel, nous renforçons les compétences des enfants, des jeunes et des adultes en leur donnant des outils et des techniques pour faire face à leurs expériences traumatisantes grâce à la méthode Teaching Recovery Techniques (TRT). Pendant la période du projet, SOS Villages d’Enfants a été la seule organisation qui a adopté une méthodologie unique pour le soutien psychologique des enfants, qui s’est avérée très efficace dans un contexte particulièrement difficile où nous avons dû faire face à une population très traumatisée. Nous avions la preuve que les symptômes traumatiques d’environ 65 % des enfants ont été réduits et, dans certains cas, ont même disparu. Deuxièmement, dans le prolongement du soutien, nous les inscrivons à d’autres activités telles que l’éducation informelle, la formation professionnelle, le soutien linguistique et les cours d’informatique. Ces activités ont été déployées avec deux objectifs : leur enseigner de nouvelles compétences et leur donner l’occasion et la confiance de sortir du camp et de socialiser et de discuter avec d’autres personnes.

Au niveau familial, nous offrons un soutien en santé mentale et psychosocial aux parents afin qu’ils puissent faire face à leurs traumatismes et qu’ils puissent mieux s’occuper et soutenir leurs enfants. La résilience économique des familles est aussi directement liée à la composante de la SMSPS. Nous renforçons les familles économiquement en les inscrivant ensuite dans une formation professionnelle et en les aidant à avoir une activité génératrice de revenus.

Au niveau communautaire, nous sensibilisons la population aux droits de l’homme et à la protection de l’enfance, et nous organisons des campagnes de communication contre la violence basée sur le genre, la cohésion sociale et la construction de la paix.

Si l’individu est renforcé mais qu’au niveau de la famille, la situation n’est pas favorable, il/elle pourrait être à nouveau traumatisé(e). Si, au niveau de la famille, la situation est favorable et, au niveau de la communauté, elle ne l’est pas, la famille peut à nouveau devenir caduque. L’adoption de cette stratégie à trois formes est ce qui, à mon avis, a donné d’excellents résultats. L’impact psychologique et économique sur la communauté locale a été très fort.

 

Vous avez mentionné que nous aidons les familles à avoir des activités génératrices de revenus. Comment y parvient-on ?

Notre but ultime est que chaque femme qui participe à notre programme ait une activité génératrice de revenus. Pour y parvenir, nous commençons par offrir aux participants des formations professionnelles sur la couture, l’artisanat et la coiffure, en mettant l’accent sur le développement de leur modèle d’entreprise et en leur apprenant comment gérer une petite entreprise.

A la fin des formations, nous fournissons également des outils aux diplômés, afin de leur permettre de faire des activités à domicile. Par exemple, chaque femme ayant reçu une formation en couture a reçu une machine à coudre. 

De plus, nous établissons des liens avec les écoles dans le cadre du camp afin que les diplômés puissent recevoir des commandes de leur part. Sur une plus grande échelle, nous avons établi deux salons de coiffure et deux ateliers de couture, dans lesquels 24 femmes formées travaillent. Les autres ne sont bien sûr pas laissés pour compte ; soit ils reçoivent des ordres de l’école, soit ils ont une activité à domicile.

 

Quelle est l’importance de SOS ciblant les enfants traumatisés dans ces communautés ?

Tandis que d’autres organisations à Duhok se concentraient sur la prestation de services (abris, nourriture, services de santé…), SOS Villages d’Enfants s’est engagé à fournir les services de SMSPS nécessaires à un groupe de personnes qui avaient besoin d’un autre type d’intervention. Le volet TRT ciblait les enfants extrêmement marginalisés et vulnérables, qui ont été immensément traumatisés. Nous nous sommes concentrés sur les orphelins, les enfants non accompagnés et les survivants de l’ISIS. Il était important de cibler ces enfants parce qu’ils représentent l’avenir de leur communauté. Protéger les enfants, c’est préserver l’avenir de leur pays.

 

Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face pendant la mise en œuvre du projet ?

Au niveau des programmes, l’un des défis auxquels nous avons dû faire face était que la participation des adolescents âgés de 16 à 18 ans était très faible par rapport aux autres enfants. Nous avons appris que la raison en était que ces enfants étaient engagés dans le travail des enfants. Une autre limite à laquelle nous étions confrontés était que nous étions conscients que le besoin d’éducation, de formation professionnelle et de SMSPS était immense mais, en raison de la portée limitée, nous ne pouvions pas servir un plus grand nombre de personnes. 

Nous considérons ces défis comme des apports et des apprentissages pour la conception des futures interventions dans la région, et nous visons à avoir des engagements plus forts pour atteindre un groupe plus large de personnes dans le besoin.

 

Comment vous engagez-vous avec la communauté locale pour mettre en œuvre le projet ?

La première chose que nous avons faite, c’est de nous engager avec des volontaires qui ont été eux-mêmes déplacés. Nous les avons formés pour qu’ils puissent offrir des séances de consolidation de la paix aux membres de leur communauté.  C’est l’une des pierres angulaires du programme. Cela nous a aidé à développer l’acceptation, une meilleure communication et une meilleure compréhension au sein de la communauté, parce que les bénévoles viennent du même milieu que les participants et qu’ils comprennent les différentes dynamiques de leur communauté.

De plus, nous avons créé une association communautaire en créant une association de femmes et une association de jeunes. Chacune des associations était constituée de 25 membres, représentants des 25 secteurs présents dans le cadre du camp. Cette mise en place a servi de pont entre SOS Villages d’Enfants et la communauté, car nous avons pu avoir une rétroaction régulière tout au long de la mise en œuvre du projet sur les besoins, les priorités et les lacunes dans la prestation des services.

 

Quels sont, selon vous, les besoins auxquels il faut encore répondre ?

La plupart des organisations humanitaires opérant à Duhok se concentrent sur les secours d’urgence de base, tels que les abris, les IFN, l’éducation et les moyens de subsistance, et l’accent mis sur la protection de l’enfance et la SMSPS reste limité. Des millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak ont été exposées à des traumatismes et le besoin de ce service est donc élevé. Je pourrais dire que le nombre de personnes traumatisées en Irak pourrait même dépasser le nombre de personnes souffrant de maladies physiques. Le besoin d’un soutien psychologique pour les enfants est très important.

Il devrait également y avoir une coordination continue entre les humanitaires sur le terrain pour fournir des interventions mieux synchronisées et adaptées qui permettront une meilleure qualité de service.

De plus, il y a une énorme lacune au niveau des thérapeutes spécialisés en traumatologie de guerre, ce qui entrave la capacité d’intervention, que ce soit au niveau local ou régional. Je crois que le renforcement des capacités dans le domaine de la santé mentale est une priorité et devrait être soutenu par les donateurs. Ceci dans le but d’avoir des thérapeutes bien formés, des conseillers, des psychologues qui peuvent répondre aux besoins massifs d’une part, et, d’autre part, de former d’autres personnes.

 

Quels sont les plans futurs pour notre intervention d’urgence dans le nord de l’Irak ?

La période de septembre 2016 à avril 2018 a été une phase pilote qui nous a permis de développer l’expertise, l’acceptation de la communauté et une meilleure compréhension du contexte et des besoins locaux. La deuxième phase de notre intervention d’urgence en Irak, qui débutera en septembre 2018, sera façonnée, d’une part, par les enseignements tirés de notre première expérience dans le pays et, d’autre part, nous poursuivrons notre approche pour répondre aux besoins au niveau individuel, familial et communautaire. Cette stratégie en trois formes s’est avérée efficace et bien acceptée par la communauté.

Une partie du plan d’avenir est d’étendre géographiquement la zone nouvellement libérée de Mossoul pour fournir différents services là où les besoins sont immensément élevés, car les habitants de cette zone sont restés sous ISIS pendant de nombreuses années. Selon l’UNICEF, 800 000 enfants en Irak ont perdu un ou deux de leurs parents à cause des guerres et de la violence depuis plus de 15 ans. Le niveau de violence auquel ils ont été exposés était immense et, par conséquent, leur niveau de traumatisme est considérablement élevé.