Tout commence le 31 octobre 1962… Une camionnette rouge conduite par Gilbert Cotteau, le fondateur de SOS Villages d’Enfants, s’arrête devant les deux maisonnettes préparées à la hâte à Busigny et 13 enfants, tous frères et sœurs, de 1 an à 14 ans, en descendent mal assurés. Leur maman vient de mourir d’épuisement à 36 ans à la suite de multiples grossesses successives. Leur père ne peut en assumer la charge ni avoir la garde.
«J’avais 39 ans et j’attendais les enfants avec impatience. Je ne vivais que pour ce moment depuis des années. Pouvoir s’occuper d’enfants en détresse, telle était ma vocation. Ils étaient affamés et n’avaient jamais eu de lits individuels avec des draps. Ils étaient pleins du chagrin d’avoir perdu leur maman, qu’ils n’auront jamais connue que fatiguée, battue et malheureuse. Le petit dernier avait à peine un an et le médecin, épouvanté par son état (il pesait moins de 5 kg) et par la charge de travail qui m’attendait, m’avait recommandé de ne pas « perdre de temps avec lui parce qu’il ne survivrait pas. J’ai fait exactement le contraire, le veillant jour et nuit, le nourrissant, d’abord avec un compte-gouttes puis à la petite cuillère, pendant des mois. Et il a survécu !
Les 13 enfants m’ont immédiatement adoptée. Une des petites filles m’a interpellée : « Tu es maman ? Tu n’as pas son visage mais tu es maman ? ». Je lui ai répondu aussi doucement que possible que ce serait comme elle voudrait. Alors elle a décidé et a annoncé à toute la fratrie que j’étais leur maman et qu’il fallait m’appeler ainsi. J’ai conservé toutes leurs lettres qui s’adressent à leur « petite maman chérie » : « Tu as été notre source de bonheur, grâce à toi, nous n’avons plus connu la faim ou le froid, je peux dire haut et fort que mon bonheur a commencé au village SOS à tes côtés, entourée de mes frères et sœurs. Tu as fait pour nous des merveilles. » Je ne voulais pas les quitter ne serait-ce qu’un jour, même pour me reposer. Il ne fallait pas les priver à nouveau de leur maman. Chaque instant leur était consacré. Les enfants se souviennent encore des repas, les meilleurs de leurs vies, et de ces années, les plus belles de leurs vies, me disent-ils. Tout ce que j’estime être ma réussite est là : avoir été capable, dans des conditions extrêmement difficiles, d’offrir aux 13 enfants une belle enfance en leur permettant de s’attacher à leur mère SOS et à leur fratrie, pour ne plus jamais quitter l’une et l’autre. Sans moi, ils ne se seraient jamais connus.»
Aujourd’hui, Geneviève a 91 ans. Dans quelques mois, le 31 octobre, Marie-France, Roselyne, Didier, Alain, Chantal, Daniel, Robert, Jean-Paul, Christian, Thérèse, Arlette, Bruno et Michel l’appelleront ou lui écriront pour célébrer le jour où leur famille est née…
Crédit photo : SOS Villages d’Enfants