Accueil des tout-petits : un enjeu immense - SOS Villages d'Enfants

Accueil des tout-petits : un enjeu immense

 

Être porté, câliné, regardé, consolé… Autant que de soins, un tout-petit a besoin d’affection, de stabilité et de maternage pour vivre, grandir et s’épanouir. En protection de l’enfance, les fratries de très jeunes enfants nécessitent une attention toute particulière et une prise en charge  sur mesure que les mères et les pères SOS, ainsi que les équipes de professionnels des villages d’enfants SOS leur apportent au quotidien. 

 

Aurélie Okoma se souviendra longtemps de cette fin d’après-midi de décembre 2018, sur la plage des Dames à Marseille : Louise, 3  ans et demi, Éric, 2 ans et demi, et Anne, 13 mois(1), riaient aux éclats après avoir chanté ensemble une comptine, « Les petits poissons dans l’eau nagent aussi bien que les gros ». Quelques heures plus tôt, les deux grands – qui vivaient depuis neuf mois au village SOS de Marseille – avaient accompagné leur éducatrice familiale pour aller chercher la petite dernière à la pouponnière de la ville. En ressortant tous ensemble et pour « ajouter un peu de beauté à ces retrouvailles uniques », Aurélie Okoma avait fait un crochet par la plage avant de rentrer : « En partageant leurs jeux et leurs rires, ces enfants réunis presque pour la première fois faisaient famille devant moi. Toute la raison d’être de notre association était là, dans cette fratrie qui se reformait en riant. C’était très émouvant. »   

 

 

Petits enfants, grands besoins 

 

Actuellement, 6 % des enfants vivant dans les villages SOS ont moins de 3 ans et 11  % sont âgés de 3 à 6 ans. Avant l’entrée dans le langage, autour de 2 ans, les professionnels doivent redoubler d’attention pour décrypter les signes de leur épanouissement ou d’un éventuel mal-être, et adapter ainsi, jour après jour, leur accompagnement pour répondre à leurs besoins.  

 

En effet, les premières années de la vie sont déterminantes pour le futur équilibre du tout-petit : entre 0 et 3 ans, il grandit de deux centimètres par mois, la taille de son cerveau est multipliée par cinq et 200 000 connexions neuronales s’y établissent par minute ! Une croissance intense qui correspond aussi à une très grande vulnérabilité, le bon développement du cerveau dépendant des interactions du bébé avec son environnement, et des réponses apportées à ses besoins fondamentaux, aussi essentiels – comme l’ont montré les neurosciences – en termes d’affection et de liens que d’alimentation et de soins.  

 

Quand des carences éducatives et des maltraitances conduisent à un éloignement des parents pour protéger l’enfant, il est absolument nécessaire, pour sa survie, de prendre en compte ce besoin : « Un enfant de moins de 3 ans déraciné de son milieu familial doit, d’une façon urgente, être “ mis en attachement”, explique Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d’Enfants France. « Plus vite il s’arrimera à une figure aimante et rassurante, plus vite le poids de ses traumatismes s’allégera. C’est le cœur de notre mission, et celle des mères et des pères SOS qui les accompagnent au quotidien. » 

 

Pour vivre, il faut exister dans le regard de gens qui nous aiment, avoir des échanges positifs avec eux, par le contact, les jeux, le babillage. Édith Bahut, éducatrice familiale au village d’enfants SOS du Lion-d’Angers, en témoigne : « Estelle s’éteignait à la pouponnière. Elle n’avait que 11 mois, mais elle ne vivait déjà plus vraiment .» Née prématurée, la petite fille était directement passée du service de néonatologie à la pouponnière.  « À son arrivée chez nous, elle faisait à peine du quatre pattes, refusait souvent de se nourrir et ne tolérait qu’un court instant qu’on la prenne dans les bras. Elle est née une seconde fois au village », se rappelle son éducatrice familiale. Les professionnels de la pouponnière avaient présenté la petite comme une enfant en très grande difficulté comportementale, cognitive et motrice. « Mais nous n’avons presque pas connu cette enfant-là, commente Marielle Mercier, éducatrice de jeunes enfants. Estelle avait besoin d’être portée, au sens propre du terme, et d’un portage psychique. Il fallait l’envelopper de mots, de gestes, de regards, d’attentions et d’actes. Les nôtres, et ceux de ses frères et sœurs. Ses progrès ont été fulgurants ! » Une évolution heureuse qui souligne la rapidité avec laquelle l’état d’un bébé peut se dégrader, mais aussi s’améliorer quand il bénéficie d’un cadre chaleureux de type familial et de relations d’affection stables et sécurisantes, comme SOS Villages d’Enfants le permet.  

 

 

Rester attentif aux autres enfants de la maison 

 

Toutefois, l’arrivée d’un tout-petit n’est jamais simple : « Un bébé peut bouleverser l’organisation d’une maison, car il n’a pas le même rythme ni les mêmes besoins que les plus grands, qui nous mobilisent plutôt sur des questions d’éducation, d’apprentissage ou de vivre ensemble », explique Aurélie Okoma. « Il a besoin de maternage et d’une grande disponibilité physique ». Ce qui peut perturber ceux qui, jusqu’alors, étaient les petits derniers : « Devenir grand frère ou grande sœur quand on est soi-même encore très jeune ne va pas de soi », reprend la mère SOS. « Cela vient parfois faire ressurgir des traumatismes qui s’étaient apaisés. » Pour Christophe Chabrier, directeur des activités de SOS Villages d’Enfants France : « Pour chaque enfant, nous faisons du sur mesure, via le projet individuel mis en place à son arrivée. Toutefois, pour soutenir encore davantage l’éducateur ou l’éducatrice familiale accompagnant un bébé, nous mettons en place un soutien complémentaire, apporté par un autre professionnel, pendant les moments les plus importants de la journée. Car cet accueil ne doit jamais se faire au détriment des autres enfants de la maison. » 

 

 

Il faut tout un village pour qu’un tout-petit grandisse 

 

L’histoire de Jason, qui a rejoint le village de Gémozac à l’âge de 1 an, en est un exemple. « Il souffrait d’un eczéma dû au stress », raconte Flavien Blanc, père SOS. Cette maladie cutanée n’était pas la seule manifestation de son mal-être. « Il était aussi musculairement très tendu, toujours en hypervigilance, comme à l’affût d’un danger. » Jason n’avait pas été victime de maltraitances physiques, mais sa mère, souffrant de troubles psychiatriques et d’alcoolisme, n’avait jamais su prendre soin de lui. À l’époque, Flavien s’occupait de cinq enfants, dont quatre de moins de 6 ans : « Avoir autant de petits à gérer alors qu’il faut donner un biberon toutes les trois heures, c’est épuisant. Heureusement, les premiers mois, les relais ponctuels de notre équipe d’accueillants m’ont permis d’avoir des temps de repos, et donc de tenir la distance. » 

 

De plus, pour soutenir cet accueil, l’éducateur familial a pu bénéficier, plusieurs fois par semaine, de l’aide d’un autre professionnel, pour le bain, les repas ou des rendez-vous divers. Une pratique qui s’est généralisée dans toutes les maisons accueillant des bébés. 

 

Ne pas délaisser les autres enfants malgré l’attention constante réclamée par un tout-petit est un challenge. Car, comme le souligne Hervé Laud, « un bébé ne vit pas le temps de la même manière que nous. Quelques semaines passées dans un village d’enfants SOS représentent souvent une grande partie de sa vie ». Il faut donc lui donner immédiatement tout ce dont il a besoin, mais sans multiplier le nombre de professionnels autour de lui, car il a besoin de figures d’attachement pérennes, de repères, de routines et de rituels pour se sentir en sécurité.  

 

FAIRE FACE AUX BESOINS DE CHAQUE ENFANT 

« L’essentiel, avec un tout-petit, reprend Hervé Laud, reste de savoir l’observer, l’écouter, se questionner à chaque fois, en tant que professionnel et en équipe, sur ce qui se passe pour lui et adapter rapidement notre façon de faire à ses besoins uniques en constante évolution. Il n’y a pas de recette toute faite ou de manière d’agir systématique. »  

 

Une souplesse nécessaire également dans l’entretien des liens avec la famille d’origine.

Pour Marielle Mercier, éducatrice de jeunes enfants au village SOS du Lion-d’Angers, Édith Bahut incarne bien le rôle de la mère SOS pour maintenir ce subtil équilibre : « Par son maternage et son investissement auprès de toute la fratrie, édith est devenue au fil du temps la figure d’attachement de référence des enfants, puisqu’ils n’ont plus de contacts avec leur mère. Mais en tant que professionnels, nous devons toujours interroger nos postures et favoriser – dans la mesure où c’est dans l’intérêt supérieur des enfants – leurs liens avec leur famille. Dans ce cas, c’est avec leur père – que les enfants voient encore – et avec leur grand-mère. »  

 

 

Un « village des tout-petits » 

 

Ces dernières années, les demandes d’accueil de fratries de tout-petits en protection de l’enfance ont explosé et les pouponnières sont saturées. Un phénomène amplifié par la diminution du nombre de familles d’accueil – dont beaucoup partent à la retraite sans être remplacées – et la crise de la Covid- 19, qui a fait basculer les familles fragiles. Pour répondre à ces besoins, SOS Villages d’Enfants a conçu une proposition alternative et innovante aux pouponnières, dans la droite ligne de son engagement associatif : ce dispositif expérimental, appelé « Village d’enfants SOS des tout-petits », ouvrira ainsi ses portes en 2023 dans le département du Nord. Constitué de deux maisons pouvant accueillir chacune six enfants accompagnés par deux aides familiales en continu, il sera porté par le village d’enfants SOS de Neuville-Saint-Rémy. Les fratries accompagnées seront composées uniquement d’enfants de 0 à 3 ans et de leurs grands frères et sœurs jusqu’à l’âge de 6 ans. Les aides familiales y seront épaulées par un psychologue, un éducateur de jeunes enfants, une infirmière-puéricultrice et une auxiliaire de puériculture. Enfin, un appartement pédagogique permettra aux équipes de travailler le lien avec les parents, en fonction de l’intérêt supérieur des enfants.  

 

« Nous continuerons, bien sûr, à accueillir les plus petits partout ailleurs, précise Hervé Laud. Mais ce village expérimental nous permet de proposer aux responsables de l’aide sociale à l’enfance une nouvelle réponse adaptée aux problématiques spécifiques des très jeunes enfants accueillis en protection de l’enfance. »  

 

SOUTENIR À DOMICILE 

SOS Villages d’Enfants accompagne aussi les petits dans le cadre de mesures de soutien des parents à domicile. Les moins de 6 ans représentent 46 % des enfants suivis  dans les programmes de renforcement des familles (PRF). Dans certains cas, les parents sont volontaires pour être soutenus. Dans d’autres cas, c’est un juge qui ordonne cette mesure d’accompagnement qui sera temporaire si la situation s’améliore. Mais, si elle se dégrade, elle pourra aboutir à l’accueil des enfants.  

 

À Busigny, l’équipe du PRF soutient une dizaine de familles par semaine. « Nous travaillons sur les compétences et les défaillances parentales, explique Dorothée Spessato, éducatrice de jeunes enfants. Et ce, en intervenant sur des temps clés du quotidien : réveil, repas, retour de crèche ou d’école, temps de bain, d’éveil ou de jeux… En communiquant avec l’enfant et en se référant à ses besoins, nous pouvons faire passer des messages à ses parents. Parfois, ceux-ci adoptent des comportements délétères sans s’en rendre compte : fumer ou s’alcooliser devant lui, faire de la télévision une nounou, le manipuler avec brusquerie, ne pas connaître les bons gestes d’hygiène… Quelles que soient leurs carences, nous nous appuyons toujours au maximum sur leurs compétences et veillons à créer un lien de confiance pour les tirer vers le haut. Ils sont défaillants, mais la plupart ne sont pas malveillants.  » 

 

ACCUEILLIR EN URGENCE 

À l’instar des plus grands, les petits doivent parfois être accueillis en urgence. Certains villages d’enfants SOS possèdent un dispositif dédié à cette situation : le service d’accueil familial immédiat (SAFI). 

 

Le SAFI est un dispositif d’accueil familial d’urgence élaboré par SOS Villages d’Enfants pour recevoir des frères et sœurs en situation de danger physique et psychologique. 52 % des accueils concernent des enfants de moins de 6  ans. « Prendre en charge un petit en urgence n’est pas plus compliqué que d’accueillir ses frères et sœurs aînés, sans doute même moins », assure Alain Adamiak, directeur du village d’enfants SOS de Calais, composé de 14 maisons d’accueil, dont 3 dédiées à l’urgence, et pouvant recevoir 14 enfants. Le caractère soudain du placement les marque et s’accompagne souvent d’agitation, de terreurs nocturnes, d’énurésie… Mais ils sont vite sécurisés. L’apaisement est toujours plus long à venir chez les plus grands. » Dans les SAFI, ce sont des aides familiaux qui accompagnent les enfants. Leurs missions au quotidien s’apparentent à celles des mères SOS : « Elles savent les rassurer en quelques heures, explique le directeur, admiratif de ses équipes, les accueillir avec douceur et autour d’un bon repas, en prenant garde à ne pas laver le doudou dont l’odeur les réconforte, aussi sale soit-il. Et si l’enfant préfère dormir sur un matelas à même le sol, refuse de prendre un bain ou veut manger avec les doigts, ce n’est jamais un problème. Car en quelques jours, en général, tout rentre dans l’ordre. » 

 

Outre la mise en sécurité des enfants, le séjour en SAFI, qui dure en moyenne quatre mois, a pour objectif de s’assurer de leur bonne santé et d’évaluer la qualité des relations entre frères et sœurs, avant de formuler des préconisations d’orientation. « Il faut estimer la pertinence du maintien d’un cadre de vie commun, explique Valérie Bonazzi, directrice territoriale de la région Est. Car c’est rare, mais parfois certains frères et sœurs rejouent la problématique familiale et ne supportent pas d’être ensemble. » L’évaluation repose aussi sur les comportements et le développement de l’enfant en fonction de son âge : suit-il du regard, se tient-il assis, formule-t-il des phrases, est-il propre, accepte-t-il la diversification alimentaire ?  

 

Les compétences des parents et leurs capacités à progresser sont aussi évaluées : « Toutes nos évaluations sont croisées, ajoute Valérie Bonazzi. Elles reposent sur une grille d’analyse conçue par des spécialistes de la petite enfance et des psychologues. Il est essentiel de ne pas se baser sur son intuition individuelle, sa subjectivité. L’empathie et l’affection sont indispensables, mais les émotions suscitées par une situation ne doivent pas polluer notre analyse. » 

 

S’il arrive — très rarement ­­— que des enfants accueillis en SAFI retournent vivre chez leurs parents à l’issue de la crise ayant conduit à l’accueil d’urgence, la plupart du temps, ce service est un sas d’entrée vers un accueil longue durée. À Calais, 35 des 51 enfants du village sont passés par le SAFI. L’équipe a alors le temps d’organiser une transition douce pour éviter une rupture supplémentaire. De même, lorsque les fratries sont orientées vers une famille d’accueil, l’assistante familiale est associée à une procédure de préadmission qui s’étale sur 15 jours.  

 

Prochainement, un SAFI dédié prioritairement à l’accueil des tout-petits va ouvrir ses portes à Marange-Silvange, en Moselle, à moins de 500 mètres du village d’enfants SOS. « Cette maison peut accueillir cinq enfants dès leur sortie de la maternité, dans les cas d’abandon ou de risques graves avérés, détaille Valérie Bonazzi qui a conçu le projet.  Des aides familiales s’y relaieront pour assurer une présence 24 h/24, en binôme si nécessaire. Elles seront soutenues par une éducatrice de jeunes enfants et un psychologue. L’accueil est prévu pour quatre mois renouvelables et les recommandations, qui portent à la fois sur la fratrie et sur chaque enfant, seront toujours personnalisées : ce qui est souhaitable pour un enfant ne l’est pas toujours pour son frère ou sa sœur. »