Ils ont 4 mois, 5 ans, 12 ans… et ne peuvent plus vivre avec leurs parents. Les frères et sœurs qui rejoignent un village d’enfants SOS ont bien sûr besoin d’un toit au-dessus de leur tête, d’un lit et de repas. Mais plus encore, ils ont besoin d’écoute, d’attention pour apprendre à faire confiance et à se faire confiance. Si tous les professionnels des villages d’enfants SOS les accompagnent sur ce chemin, ce sont d’abord leurs mères SOS qui, par les trésors de patience et d’affection qu’elles déploient, les remettent debout. Elles jouent le rôle fondamental de “tuteur” au sens botanique du terme : une présence forte, rassurante et stable grâce à laquelle, en s’appuyant, ils s’épanouissent. Des anciens enfants des villages SOS racontent ce qu’ils “doivent” à leurs éducatrices familiales.
Ce n’est pas une renaissance que j’ai vécue au village d’enfants SOS de Digne-les-Bains. J’y suis née !”. Celle qui assène ces mots si forts s’appelle Tiphanie. Elle a 30 ans et est arrivée au village d’enfants SOS à l’âge de 4 ans. “Même si j’ai connu, comme tout le monde des périodes difficiles, aujourd’hui ma vie est belle, mon parcours est beau et je sais que j’irai loin dans la vie”, sourit la jeune femme qui travaille comme chargée de la clientèle d’entreprises de la Poste de Marseille. “Je dois tout à Sylviane, ma mère SOS. C’est elle qui a fait de moi la femme que je suis aujourd’hui. Ma persévérance, mon côté battante : c’est elle !”.
Tiphanie a d’abord été placée en pouponnière de ses 6 mois à ses 4 ans. À cette époque-là, Sylviane n’avait pas encore rejoint SOS Villages d’Enfants, mais la future éducatrice familiale était allée rencontrer plusieurs fratries qu’elle était susceptible de prendre en charge. “Quelques jours après son passage dans mon foyer, du haut de mes quatre ans, j’avais demandé à lui téléphoner, se souvient Tiphanie. Je voulais savoir quand elle viendrait nous chercher ! J’ai envie de croire que c’est mon coup de fil qui l’a décidée à s’engager dans l’aventure SOS avec ma fratrie. Ce fut une sorte de coup de foudre réciproque”.
Les liens qui se nouent entre les mères SOS et les enfants dont elles s’occupent ne sont toutefois pas toujours aussi spontanés. Selon l’âge et le passé des enfants, ils peuvent même, avant d’éclore, réclamer autant de temps que d’abnégation aux éducatrices familiales.
“Je n’ai jamais été croyante”, raconte Julie, 22 ans, ancienne du village d’enfants SOS de Plaisir. “Pourtant, lorsque je suis arrivée au village d’enfants SOS à l’âge de 8 ans, j’ai scotché sur la fenêtre de ma chambre une lettre à destination… de Dieu. Je lui demandais de m’aider à retourner dans mon ancien foyer où, pourtant, je n’étais pas bien du tout !”. Julie avait déjà connu la vie en foyer à deux reprises. À deux ans et demi, elle y avait résidé 6 mois avant de retourner vivre chez sa mère et son beau-père. “Je fais partie d’une fratrie de 8 enfants nés de 3 pères différents. Et à la maison, j’assurais le rôle de maman pour les petits, se souvient-elle. Je n’avais que 7 ans, mais je leur donnais les bains, les habillais, les faisais manger…”. Sans entrer dans les détails, Julie évoque une mère et un beau-père très défaillants. C’est d’ailleurs son témoignage qui conduisit au second placement de la fratrie dans un foyer puis au village d’enfants SOS de Plaisir. “Là-bas, j’ai d’abord vu Ghislaine, ma mère SOS, comme celle qui me volait ma place auprès de mes frères et sœurs. Je le vivais très mal, j’étais agressive !”. Julie reconnaît pourtant avoir perçu dès les premiers jours qu’elle était enfin reconnue en tant qu’enfant, mais aussi qu’elle intégrait deux familles : celle du village d’enfants SOS et celle de sa mère SOS. “Je le ressentais sans oser me l’avouer”, dit-elle. Mais la graine germait : tous ces gens-là ne me voulaient que du bien. C’est incroyable un village d’enfants SOS, tout y est construit dans l’intérêt de l’enfant même lorsque l’enfant fait tout pour ne pas être aimé !”.
Apprendre à être soi
Avant d’être placée au village d’enfants SOS de Marseille en 1975, Sylvie assurait, elle aussi, le rôle de maman de substitution pour ses 5 petits frères et sœurs. “Je faisais à manger, la lessive, le repassage… Je n’allais presque jamais à l’école”, raconte cet agent de service hospitalier à Marseille âgée de 56 ans. Ce n’est qu’au décès de leur mère, une femme battue et vivant sous l’emprise de médicaments, que les enfants furent placés. Leur père ayant été, quant à lui, conduit en prison pour une autre affaire tout aussi dramatique. Sylvie avait 10 ans.
“Chantal, c’est le Bon Dieu qui nous l’envoyait”, raconte avec émotion Sylvie. “Bien sûr nous étions désorientés d’avoir perdu notre maman, mais passer sous la protection de Chantal, c’était la plus belle chose qui pouvait nous arriver. Je n’avais jamais eu de maman. J’avais besoin d’amour, de conseils, de rires… de devenir enfin une enfant. Elle m’a tout donné et elle est aussitôt devenue ma mère, tout simplement”. Sylvie a très vite appelé Chantal ‘maman’ et la fratrie a été totalement intégrée à la famille de leur mère SOS. “Il est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas tout l’entourage des professionnels (éducateurs, psychologues, animateurs…) qui existe aujourd’hui dans les villages d’enfants SOS. Mais je crois que le dévouement de celles qui accueillent aujourd’hui des enfants maltraités ou orphelins est toujours le même”, souligne Sylvie.
Chantal a aujourd’hui 80 ans et c’est désormais Sylvie qui veille sur elle. “Maman vit encore chez elle, mais si un jour elle devait perdre son autonomie, il est hors de question que mes frères et moi la conduisions en Ehpad. Ce sera à notre tour de l’héberger”.
Contrairement à Sylvie, Julie est arrivée blessée et en colère au village d’enfants SOS de Plaisir et elle a eu du mal à montrer son affection à sa mère SOS. “Je n’étais pas câline et je ne le suis pas devenue en grandissant. Pourtant, avec Ghislaine, on s’aime comme une mère et sa fille même si on ne se l’est jamais dit, même s’il n’y a pas d’embrassades”. Il faut dire aussi que la maman de la fratrie ne cessait de promettre beaucoup d’amour et autant de cadeaux à ses enfants alors que, bien souvent, elle ne venait pas les voir lors de ses droits de visite. “J’ignore comment Ghislaine a réussi à nous faire surmonter cette épreuve de plus”, s’interroge Julie. “J’ai réalisé bien plus tard la force qu’il faut à une mère SOS qui voit les enfants dont elle a la charge idolâtrer leurs parents si déficients”. Aujourd’hui, Julie est très reconnaissante de l’attitude de sa mère SOS. “Malgré tout ce que je lui faisais vivre, elle m’a comprise et m’a si bien aidée à me construire qu’il m’est arrivé d’oublier que j’étais une enfant placée”. Julie travaille comme éducatrice spécialisée auprès d’adultes et est convaincue que si elle a développé cette attention aux autres c’est parce que sa mère SOS lui a montré la voie. “Ghislaine m’a appris à être moi”.
Affection, repères, stabilité
À Digne-Les-Bains, Tiphanie fut aussi une enfant d’un fort caractère et sa relation très forte avec sa mère SOS n’a pas été exempte de conflits, notamment à l’adolescence. “Mais Sylviane a su prendre la mesure de ma colère, l’accepter alors qu’elle était injuste et surtout la calmer”, commente-t-elle. Elle savait que les enfants placés s’en prennent souvent aux personnes qu’ils aiment le plus”. Tiphanie a longtemps gardé le contact avec sa mère qui vivait dans le Nord où elle allait lui rendre visite pendant les vacances scolaires. “Mais ces rencontres ne me faisaient pas de bien. J’ai eu une génitrice, mais celle qui mérite le titre de mère, c’est Sylviane”. Désormais, le plus grand espoir de Tiphanie est de devenir à son tour maman et offrir à Sylviane le bonheur de câliner ceux qui deviendront alors ses petits-enfants de cœur.
Voilà qui résonne avec l’histoire de Linda. Âgée de 25 ans, Linda vit à Mark, près de Calais, où elle tient un commerce de dépôt-vente. Elle est la maman de deux enfants de 7 ans et 10 ans et lorsqu’on lui demande le plus beau souvenir des 16 années vécues auprès de Brigitte, sa mère SOS du village d’enfants SOS de Calais, ce n’est pas au passé qu’elle pense. “Ce qui me touche le plus c’est que mes enfants considèrent Brigitte comme leur grand-mère. Quand on ne voit pas Manou pendant plusieurs semaines, comme ce fut le cas pendant le confinement, ils la réclament avec insistance”. Linda a perdu sa mère des suites d’une maladie à l’âge de trois ans et le père de sa fratrie, qui souffrait d’alcoolisme, ne pouvait, ni ne voulait, assumer la charge d’élever ses trois enfants dont Linda est la benjamine. Petite, Linda a tenté d’appeler sa mère SOS, ‘maman’, mais Brigitte l’a toujours reprise. Elle avait eu une maman et ne devait ni l’effacer, ni l’oublier. L’éducatrice familiale a aussi maintenu les liens avec le père des enfants et les autres membres de la famille. “Je ne m’en rendais pas compte, mais elle a ainsi veillé à ne pas nous déraciner ce qui a contribué à faire de nous des enfants, puis des adultes, en paix avec leur histoire. Nous avons eu de l’affection, des repères, une stabilité, une vie la plus normale possible… On était bien au 9, le numéro de notre maison”, sourit Linda. La jeune femme se surprend aussi aujourd’hui, à utiliser avec ses enfants les mêmes mots que Brigitte avec les mêmes intonations de voix. “ Et je transmets les grands principes d’éducation qu’elle appliquait avec nous et qui nous ont tellement aidés !”. La mère de famille s’énerve d’ailleurs des reportages télévisés qui stigmatisent les enfants placés présentés comme des “gamins à problèmes” à l’avenir compromis. “Mon frère est professeur en collège et ma sœur est gestionnaire de paie dans un aéroport ! Lorsqu’on est aimé, entouré, épaulé, comme nous l’avons été au sein du village d’enfants SOS de Calais, nous sommes armés pour réussir dans la vie”.
Vivre un jour loin de “Patou” ? Impossible pour Brenda, 23 ans, qui a quitté le village d’enfants SOS de Châteaudun il y a deux ans. “On se voit dès qu’on peut ”, confirme la jeune femme. “Si pour une raison ou pour une autre je devais perdre le contact, je n’arriverais pas à m’en remettre. Comment je ferais sans elle ?”. Brenda a été placée dès ses 12 mois et Patricia fut son unique mère SOS. “J’ai toujours eu un lien très fort avec elle, j’étais très affectueuse”, commente-t-elle. Brenda, qui cherche un travail de serveuse en restauration, métier dont elle est diplômée, habite dans un foyer pour jeunes travailleurs. “J’ai eu du mal à vivre loin de ma mère SOS ”, reconnaît-elle. “J’ai fait ma dernière année d’étude en internat et tous les soirs j’étais en larmes. J’essayais parfois de lui cacher mon mal-être pour ne pas l’attrister, mais elle me connaît trop bien ! J’ai toujours pu compter sur elle. Lorsque j’ai subi du harcèlement scolaire, elle fut la seule à me croire instantanément, sans penser que j’exagérais”. En ce moment Brenda a des soucis de santé et, pour apprendre à manger plus équilibré, c’est spontanément vers sa mère SOS qu’elle s’est tournée pour concevoir sa pyramide alimentaire. “Patou, c’est mon socle”, conclut Brenda.
Un constat que pourraient reprendre bien des enfants des villages SOS de France ou de l’étranger (voir encadré). Être éducatrice familiale est un métier exigeant et une profession qui s’apprend et se peaufine avec le temps. Mais c’est avant tout un formidable engagement humain. Tous les anciens enfants accueillis le disent : les mères SOS mettent du cœur à l’ouvrage… beaucoup, beaucoup de cœur !
Mères SOS au Burkina Faso
La confiance et l’affection qui caractérisent les relations entre des enfants et leurs mères SOS existent dans tous les pays du monde où est présente SOS Villages d’Enfants. Siaka a 21 ans et vit à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Il a perdu sa mère à l’âge de trois ans et n’a découvert son père qu’à 15 ans, trois ans avant son décès. Le petit a rejoint le village d’enfants SOS de Bobo-Dioulasso en 2004, après deux années de vie “dans des conditions difficiles”, raconte-t-il pudiquement. Dans son nouveau foyer il a, dit-il, “trouvé une nouvelle mère, belle, douce et au cœur pur, tel un ange. J’avais enfin une affection maternelle qui comblait le vide laissé par l’absence de mes parents biologiques. Je la remercie surtout pour le savoir-faire et le savoir-être qu’elle m’a inculqués. J’ai passé 9 ans au sein du village d’enfants SOS et elle a su forger ma personnalité, celle d’un homme mûr d’esprit, consciencieux et qui aspire à un avenir prometteur”. Le jeune homme est étudiant en droit à l’université Aube Nouvelle de Bobo. “L’un des meilleurs”, précise celui qui se rêve un destin d’avocat qui défendra “la cause des veuves, des orphelins et des laissés pour compte”.
Nana Oumarou sourit : “Je me souviens, quand Maman Honorine nous appelait ‘Mon enfant chéri’ pour nous féliciter, lorsque moi ou l’un de mes 9 frères et sœurs avions bien travaillé à l’école”. ‘Il faut ranger ta chambre ; n’oublie pas d’éteindre la lumière’, nous rappelait-elle sans cesse”. De vieux souvenirs touchants pour cet homme désormais âgé de 35 ans. Marié, Nana vit à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Il a été accueilli au village d’enfants SOS de la ville en 1993 et y est resté jusqu’en 2005. “Notre mère SOS nous a donné l’amour maternel, l’affection, la protection et tout ce qu’une maman peut donner à son enfant. Encore aujourd’hui, elle reste une source d’inspiration et de conseils”.